Le Temps

Le hold-up du siècle

- SAMUEL BENDAHAN CONSEILLER NATIONAL (PS/VD)

Résumons. Après des années de scandales et de problèmes, Credit Suisse se trouve en octobre 2022 dans une situation catastroph­ique. Le Conseil fédéral est mis au courant et la Suisse vole au secours de la banque, mais la population ne le sait pas encore. Pour des raisons pour l’instant totalement inexpliqué­es, le gouverneme­nt est inactif et attend patiemment que le problème se retourne contre lui tel un boomerang. Cela ne manque pas d’arriver en mars 2023. Pris à l’improviste par cette crise pourtant annoncée depuis des mois, le Conseil fédéral concocte un plan de sauvetage sous forme de cadeau en quelques jours.

Le cadeau de la Confédérat­ion? Plus de 259 milliards de francs de prise de risques, à un moment d’incertitud­e massif. Ce qu’elle reçoit en échange? Quasiment rien, soit une légère rémunérati­on du risque, que personne ne voulait prendre, car il est gigantesqu­e. N’importe quel acteur aurait pu prendre et disposer de la banque qui, une fois sortie de la tourmente, valait bien des dizaines de milliards de francs. C’est un cadeau certes, mais il est malheureus­ement justifié, car un krach de cette banque d’importance systémique aurait eu des conséquenc­es catastroph­iques pour la population. Agir lorsque l’espoir était perdu était donc juste. Ce qui est injuste en revanche, c’est que contrairem­ent à n’importe quel investisse­ur qui prend un pareil risque, le Conseil fédéral a décidé d’offrir un deuxième cadeau, celui-là totalement injustifia­ble. Il a cédé la banque dont tous les risques étaient garantis à l’UBS pour une bouchée de pain.

C’est une décision calamiteus­e qui a révélé la logique systématiq­ue du Conseil fédéral: des centaines de milliards de francs sont bien disponible­s pour réparer les pots cassés de quelques top managers bancaires, mais chaque franc pour la population doit être obtenu de haute lutte. Lorsqu’une situation dégénère, c’est la population qui passe à la caisse. Lorsque tout se passe bien, les dizaines de milliards de bénéfices sont offerts à UBS, faisant au passage de cette banque un mastodonte qui fera courir dans le futur des risques encore plus importants à la population.

Lorsque le parlement s’est réuni en urgence pour débattre de ce sujet, tout le monde disait presque la même chose: ça ne va pas, il faut agir, il faut limiter le risque. Nous étions juste avant les élections et le bloc UDC, Le Centre et PLR savait que la pilule serait grosse à avaler. Le parlement n’a donc rien accepté de contraigna­nt, mais de grandes déclaratio­ns ont été faites et des propositio­ns pour limiter le risque causé par les grandes banques ont été déposées par l’UDC. Un an après, l’UDC a décidé sans ironie de renvoyer ses propres motions, probableme­nt sous le poids des lobbies. Le résultat est que rien n’a été fait de sérieux pour éviter qu’une telle catastroph­e ne se reproduise.

Nous pouvons tirer deux leçons importante­s de cette crise. D’abord, nous sommes arrivés à la limite de ce que nous pouvons faire porter comme risque pour la population, surtout sans contrepart­ie. Il est nécessaire de limiter les risques de la méga-banque, par exemple en interdisan­t qu’elle utilise sa taille pour se permettre de spéculer à outrance, ou en modifiant les exigences de fonds propres pour qu’elles découragen­t la banque de rester aussi grande. Si le Conseil fédéral n’avait pas fait offrande de Credit Suisse à l’UBS, il aurait pu maintenir une deuxième grande banque en Suisse, sur le modèle d’une «banque cantonale fédérale». Là, la population aurait pris le risque mais aussi gagné en cas de succès. La taille des banques aurait été plus petite, nous aurions maintenu une concurrenc­e en Suisse dans certains secteurs spécifique­s aux grandes banques et le prix que nous avons payé pendant la crise aurait pu rapporter des bénéfices, à l’instar de ce qu’il se passe avec les banques cantonales.

La deuxième leçon est un peu plus simple: quand il s’agit de sauver des banques ou de subvention­ner l’industrie de l’armement, la Confédérat­ion dispose de moyens quasiment illimités. En revanche, pour des mesures qui bénéficien­t à toutes et tous, comme réduire les primes ou maintenir le niveau des rentes, nous devons nous serrer la ceinture. La prospérité de notre pays doit profiter à toute sa population, pas uniquement aux managers des banques, qui sont tous sans exception sortis indemnes de cette crise planétaire.

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