A Ramallah, les ONG privées de visas
Depuis le 7 octobre, Israël a cessé de délivrer les titres de séjour du personnel étranger des organisations humanitaires qui opèrent en Cisjordanie occupée, à Gaza et à Jérusalem. Ces dernières y voient des motivations politiques
Depuis que le visa de travail de Christian* a expiré, la routine de cet humanitaire d’une quarantaine d’années a un peu changé. Il ne va plus au bureau de son organisation à Jérusalem, ne peut pas passer de check-points et a cessé de se déplacer dans les différentes villes de Cisjordanie occupée. D’ordinaire, c’est une formalité: en quelques jours d’attente et un rendez-vous administratif, tout est réglé. Mais depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, Israël ne renouvelle plus les titres de séjour pour le personnel étranger des ONG humanitaires qui opèrent en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est. Christian est donc coincé dans une situation semi-légale, en attendant que tout se débloque.
«Mon travail est essentiel alors je suis resté dans le pays», raconte, las, cet employé d’une grande ONG qui travaille sur place depuis trois ans. Au mois d’octobre, comme tous ses collègues – et ceux d’autres organisations internationales –, il a d’abord été informé que tous les visas humanitaires sur le point d’expirer seraient prolongés automatiquement jusqu’au 8 février. Les autorités israéliennes lui disent ensuite que des informations concernant une nouvelle prolongation vont être publiées. Puis plus rien.
Aller voir ses équipes sur le terrain, rencontrer les partenaires, s’assurer que leurs actions sont menées à bien? «Sans visa, poursuit Christian, c’est toute notre capacité à fournir de l’aide humanitaire qui est remise en question alors qu’en ce moment les besoins des Palestiniens sont énormes. Et nos effectifs se réduisent de jour en jour.»
Décision politique
En tout, ils sont une centaine de travailleurs humanitaires concernés par ce problème: 57 n’ont déjà plus de visas et près de quarante autres en ont un sur le point d’expirer dans les prochaines semaines. Sans compter les 46 nouvelles recrues qui n’ont jamais pu venir «en renfort», faute de visa délivré.
Si certains, comme Christian, ont fait le choix de rester, une quarantaine d’employés étrangers des organisations internationales humanitaires ont déjà quitté le territoire. Hannah* n’a pas eu le choix: en deux jours, elle a dû plier bagage. «Le Ministère de l’intérieur a rejeté ma demande d’extension», raconte-t-elle par téléphone. Pour être acceptées, les demandes doivent toutes être accompagnées d’une lettre de recommandation, délivrée par le Ministère du travail et des affaires sociales – ce sont ces dernières qui ne sont plus émises depuis le 7 octobre. La jeune femme décide de s’y rendre en personne et explique son travail: fournir aux Palestiniens les services de première nécessité tels que l’accès à l’eau, à l’éducation et le droit à une protection contre les violences de toutes formes. «On m’a répondu que si les lettres n’étaient pas délivrées, c’était juste une question de temps ou de changement de procédure et que je n’avais pas d’autre choix que de partir. Mais je sais que d’autres expatriés – des professeurs ou des employés du secteur de la tech ont vu leurs visas renouvelés.»
«C’est une décision purement politique», s’indigne Faris Arouri, de l’Association des agences internationales de développement (AIDA), une coalition regroupant 80 ONG d’Amnesty Internationale à Médecins sans Frontières, de Save The Children à Oxfam. Ce Palestinien reçoit à Ramallah dans des bureaux presque vides. Les traits marqués par la fatigue, il l’assure: ce gel des visas est sans précédent. «Petit à petit, c’est l’entièreté du secteur humanitaire qui se voit expulser», poursuit-il, précisant que de petites structures ne peuvent pas se permettre de perdre leurs employés clés – la grande majorité des étrangers occupant des postes de cadres supérieurs. «On parle d’au moins 20 directeurs de pays d’ONG. Une cinquantaine d’autres font partie intégrante des équipes de direction», soupire Faris.
Entre-temps, «on nous a précisé qu’à cause de l’implication présumée d’un petit nombre d’employés de l’UNRWA le 7 octobre, le ministère n’était pas en mesure d’enquêter sur chaque travailleur humanitaire», poursuit Hannah, qui continue de travailler à distance pour son organisation. Au bout du fil, sa voix n’est plus si calme, son agacement perceptible. «Comme s’il fallait s’assurer que chaque employé n’était pas impliqué dans des activités terroristes. A croire que c’est la seule excuse qu’ils ont trouvée pour justifier leur blocage de nos visas.»
«Pas sur nos passeports»
Le 20 février, AIDA – la coalition des ONG – adresse alors une lettre à l’Autorité de l’état civil et de l’immigration (dite PIBA), au sein du Ministère de l’intérieur israélien. Le message est resté sans réponse jusqu’à ce jour. Contactée, l’institution n’a toujours pas donné suite à nos demandes de commentaire.
«On m’a dit que nous avions tous des visas dans leur système, mais pas sur nos passeports», explique Victoria, employée d’une ONG à Jérusalem, à la sortie de son rendez-vous au Ministère de l’intérieur. Incrédule, elle ne sait pas vraiment ce que signifie cette réponse et en a parlé à son avocat. Pour le moment, rien n’est réglé. «Toutes les instances diplomatiques ont été alertées, mais nous avons l’impression qu’elles ne se décideront à agir que lorsqu’il sera trop tard», soupire Faris Arouri. «Si la délivrance des visas ne reprend pas, il n’y aura plus aucun travailleur humanitaire étranger au début de l’automne, assure-t-il. Mais ce n’est que la suite logique des sanctions grandissantes et des campagnes de diffamation contre toutes les organisations qui dénoncent les politiques d’Israël.»
En attendant, ces restrictions de visas ont créé un climat de peur: la plupart des travailleurs humanitaires – y compris les plus grandes ONG internationales – ne veulent pas s’exprimer publiquement. Elles craignent les répercussions sur leurs employés palestiniens ou d’avoir tout simplement l’interdiction d’opérer sur le territoire. «Israël est pourtant tenu de faciliter l’accès à l’aide humanitaire», rappelle Christian en citant les mesures provisoires de la Cour internationale de justice. «Mais en refusant les visas aux travailleurs et en empêchant l’accès des organisations, encore une fois, Israël ne respecte pas ses obligations.»
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«Sans visa, c’est toute notre capacité à fournir de l’aide humanitaire qui est remise en question»
CHRISTIAN*, EMPLOYÉ D’UNE GRANDE ONG QUI OPÈRE EN CISJORDANIE