Pour l’ONU, Téhéran a commis des crimes contre l’humanité
Hier, la Commission internationale d’établissement des faits a présenté ses conclusions au Conseil des droits de l’homme dans un rapport accablant. En Iran, la répression continue, mais les formes de désobéissance civique se multiplient
La Commission internationale d’établissement des faits sur l’Iran a présenté hier les conclusions d’un rapport accablant sur la situation des droits humains et la forte répression orchestrée par les autorités de Téhéran depuis la mort de la jeune Kurde iranienne Mahsa Amini le 16 septembre 2022. Cet organe onusien le souligne: c’est «une mort illégale causée par des violences physiques en détention des autorités iraniennes» alors que la jeune fille refusait de porter le voile.
Pour la présidente de la Commission et avocate du Bangladesh Sara Hossein, le Ministère des renseignements, les bassidjis et les Gardiens de la révolution, l’armée idéologique du régime, ont commis des «violations odieuses des droits humains» afin d’étouffer un vaste mouvement qui s’est créé au lendemain du 16 septembre 2022, «Femme, vie, liberté». Exécutions extrajudiciaires, torture, viols et violences sexuelles, détention prolongée en isolement cellulaire: la liste semble sans fin. La République islamique s’est rendue coupable de «crimes contre l’humanité» résultant d’abus systématiques en particulier contre les femmes. Sara Hossein le relève: même des «enfants ont été soumis à des exécutions extrajudiciaires, à de la torture et à des viols».
La justice iranienne ne garantit pas de procès équitables. Nombre de manifestants, accusés d’avoir «mené une guerre contre Dieu», ont été traduits en justice devant des cours révolutionnaires. Ils n’ont pas eu accès à leur dossier, ni à un avocat de leur choix. Au moins neuf jeunes Iraniens ont par exemple été exécutés à l’issue d’un procès expéditif.
Pour la professeure de droit pakistanaise Shaheen Sardar Ali, membre de la Commission, l’imposition intransigeante du hidjab comme code vestimentaire a un fort impact sur l’éducation en Iran. «Jusqu’ici, l’Iran avait un haut niveau d’éducation tant chez les hommes que chez les femmes. Maintenant, nombre d’étudiantes refusant le port du voile sont suspendues. Certains employeurs sont sommés par ailleurs d’appliquer la loi sur le hidjab, sans quoi leur entreprise sera fermée.»
«Aujourd’hui, la désobéissance civile se poursuit, sur les réseaux et même dans les prisons» MITRA SOHRABI, COPRÉSIDENTE DE «FEMME, VIE, LIBERTÉ SUISSE»
Téhéran, qui n’a pas autorisé la Commission à visiter l’Iran et qui n’a pas répondu à ses sollicitations, réfute catégoriquement les conclusions du rapport. Représentant permanent adjoint auprès de l’ONU à Genève, Mehdi Aliabadi l’a exprimé hier au CDH: «La République islamique d’Iran ne reconnaît pas le mandat [de cette commission] dont le résultat prévisible est un rapport fabriqué et biaisé.»
Shaheen Sardar Ali note toutefois que le mouvement «Femme, vie, liberté» a déjà réussi quelque chose: abattre les barrières de la peur des représailles. «Nombre de femmes, filles et jeunes gens sont descendus dans la rue pour exprimer leur solidarité même si le prix fut élevé.» Pour la professeure pakistanaise, les manifestations ont uni dans le même combat de nombreux groupes sociétaux très différents.Mais la répression en Iran continue. Coprésidente de l’association Femme, Vie, Liberté Suisse, Mitra Sohrabi estime que le mouvement «Zan, Zendegi, Azadi» a déjà réussi à provoquer la création de la Commission internationale d’établissement des faits. Ce n’est pas rien. Cela fait des années que plusieurs ONG exhortent l’ONU à enquêter sur les graves violations des droits humains en Iran. «Le rapport de la commission parle de crimes contre l’humanité. C’est la première fois qu’un organe onusien qualifie ainsi de telles violations.» Cela a un impact. Hier, 54 pays ont exhorté le CDH à mettre un terme à l’impunité de Téhéran.
Caméras de surveillance
«Aujourd’hui, reconnaît Mitra Sohrabi, le mouvement est moins visible dans la rue iranienne. C’est trop dangereux et le régime a installé dans nombre de villes des caméras équipées pour faire de la reconnaissance faciale. Mais la désobéissance civile se poursuit. Autrement. Nombre de femmes continuent de refuser de porter le voile et le font savoir sur les réseaux sociaux. Même dans les prisons, il y a des manifestations et des grèves concertées. La semaine dernière, pour la fête [zoroastrienne] de Chaharshanbe Souri, les Iraniens ont créé d’immenses discos en plein air.» Des activités qui irritent le régime. Dans cette dynamique, le chanteur Shervin Hajipour, auteur de la chanson Baraye, devenue l’hymne de la contestation, a composé un nouveau morceau, Ashghal («Ordures»). L’artiste iranien de 26 ans vient toutefois d’être condamné à 3 ans de prison pour «incitation à des émeutes visant à perturber la sécurité nationale».
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