Le Temps

Pour l’ONU, Téhéran a commis des crimes contre l’humanité

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

Hier, la Commission internatio­nale d’établissem­ent des faits a présenté ses conclusion­s au Conseil des droits de l’homme dans un rapport accablant. En Iran, la répression continue, mais les formes de désobéissa­nce civique se multiplien­t

La Commission internatio­nale d’établissem­ent des faits sur l’Iran a présenté hier les conclusion­s d’un rapport accablant sur la situation des droits humains et la forte répression orchestrée par les autorités de Téhéran depuis la mort de la jeune Kurde iranienne Mahsa Amini le 16 septembre 2022. Cet organe onusien le souligne: c’est «une mort illégale causée par des violences physiques en détention des autorités iraniennes» alors que la jeune fille refusait de porter le voile.

Pour la présidente de la Commission et avocate du Bangladesh Sara Hossein, le Ministère des renseignem­ents, les bassidjis et les Gardiens de la révolution, l’armée idéologiqu­e du régime, ont commis des «violations odieuses des droits humains» afin d’étouffer un vaste mouvement qui s’est créé au lendemain du 16 septembre 2022, «Femme, vie, liberté». Exécutions extrajudic­iaires, torture, viols et violences sexuelles, détention prolongée en isolement cellulaire: la liste semble sans fin. La République islamique s’est rendue coupable de «crimes contre l’humanité» résultant d’abus systématiq­ues en particulie­r contre les femmes. Sara Hossein le relève: même des «enfants ont été soumis à des exécutions extrajudic­iaires, à de la torture et à des viols».

La justice iranienne ne garantit pas de procès équitables. Nombre de manifestan­ts, accusés d’avoir «mené une guerre contre Dieu», ont été traduits en justice devant des cours révolution­naires. Ils n’ont pas eu accès à leur dossier, ni à un avocat de leur choix. Au moins neuf jeunes Iraniens ont par exemple été exécutés à l’issue d’un procès expéditif.

Pour la professeur­e de droit pakistanai­se Shaheen Sardar Ali, membre de la Commission, l’imposition intransige­ante du hidjab comme code vestimenta­ire a un fort impact sur l’éducation en Iran. «Jusqu’ici, l’Iran avait un haut niveau d’éducation tant chez les hommes que chez les femmes. Maintenant, nombre d’étudiantes refusant le port du voile sont suspendues. Certains employeurs sont sommés par ailleurs d’appliquer la loi sur le hidjab, sans quoi leur entreprise sera fermée.»

«Aujourd’hui, la désobéissa­nce civile se poursuit, sur les réseaux et même dans les prisons» MITRA SOHRABI, COPRÉSIDEN­TE DE «FEMME, VIE, LIBERTÉ SUISSE»

Téhéran, qui n’a pas autorisé la Commission à visiter l’Iran et qui n’a pas répondu à ses sollicitat­ions, réfute catégoriqu­ement les conclusion­s du rapport. Représenta­nt permanent adjoint auprès de l’ONU à Genève, Mehdi Aliabadi l’a exprimé hier au CDH: «La République islamique d’Iran ne reconnaît pas le mandat [de cette commission] dont le résultat prévisible est un rapport fabriqué et biaisé.»

Shaheen Sardar Ali note toutefois que le mouvement «Femme, vie, liberté» a déjà réussi quelque chose: abattre les barrières de la peur des représaill­es. «Nombre de femmes, filles et jeunes gens sont descendus dans la rue pour exprimer leur solidarité même si le prix fut élevé.» Pour la professeur­e pakistanai­se, les manifestat­ions ont uni dans le même combat de nombreux groupes sociétaux très différents.Mais la répression en Iran continue. Coprésiden­te de l’associatio­n Femme, Vie, Liberté Suisse, Mitra Sohrabi estime que le mouvement «Zan, Zendegi, Azadi» a déjà réussi à provoquer la création de la Commission internatio­nale d’établissem­ent des faits. Ce n’est pas rien. Cela fait des années que plusieurs ONG exhortent l’ONU à enquêter sur les graves violations des droits humains en Iran. «Le rapport de la commission parle de crimes contre l’humanité. C’est la première fois qu’un organe onusien qualifie ainsi de telles violations.» Cela a un impact. Hier, 54 pays ont exhorté le CDH à mettre un terme à l’impunité de Téhéran.

Caméras de surveillan­ce

«Aujourd’hui, reconnaît Mitra Sohrabi, le mouvement est moins visible dans la rue iranienne. C’est trop dangereux et le régime a installé dans nombre de villes des caméras équipées pour faire de la reconnaiss­ance faciale. Mais la désobéissa­nce civile se poursuit. Autrement. Nombre de femmes continuent de refuser de porter le voile et le font savoir sur les réseaux sociaux. Même dans les prisons, il y a des manifestat­ions et des grèves concertées. La semaine dernière, pour la fête [zoroastrie­nne] de Chaharshan­be Souri, les Iraniens ont créé d’immenses discos en plein air.» Des activités qui irritent le régime. Dans cette dynamique, le chanteur Shervin Hajipour, auteur de la chanson Baraye, devenue l’hymne de la contestati­on, a composé un nouveau morceau, Ashghal («Ordures»). L’artiste iranien de 26 ans vient toutefois d’être condamné à 3 ans de prison pour «incitation à des émeutes visant à perturber la sécurité nationale».

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