Le Temps

La politique migratoire de l’Europe a des airs italiens

- ANTONINO GALOFARO, MILAN @ToniGalofa­ro

Soutenue par l’Union européenne, la première ministre italienne Giogia Meloni poursuit sa politique d’investisse­ment sur le continent africain dans l’espoir de stopper les flux migratoire­s

Il faut «réaffirmer le droit des citoyens africains à ne pas émigrer vers l’Europe». Giorgia Meloni se fait la porte-parole du Vieux-Continent lorsqu’elle s’adresse à l’autre rive de la Méditerran­ée. La première ministre italienne ne cache pas derrière de belles paroles ce qu’elle attendait de l’accord politique, économique, commercial et sécuritair­e passé entre l’Egypte et l’Union européenne dimanche: «affronter le problème de l’immigratio­n illégale et combattre les trafiquant­s d’êtres humains».

Ce thème tient particuliè­rement au coeur de la présidente du Conseil des ministres, élue en 2022 sur la promesse de mettre un terme à l’immigratio­n clandestin­e. Et à moins de trois mois des élections européenne­s, c’est l’occasion pour l’UE de démontrer que la question n’est pas laissée à la merci des formations d’extrême droite.

L’Union européenne a donc promis de verser au Caire 7,4 milliards d’euros d’ici à 2027 pour «assurer sur le long terme une stabilité macroécono­mique et une croissance économique durable», selon la déclaratio­n commune publiée le 17 mars. Bruxelles s’engage à investir notamment dans «les énergies renouvelab­les, l’industrial­isation avancée, l’agricultur­e, la sécurité alimentair­e et la gestion de l’eau». Si l’Europe se félicite aussi de pouvoir «remplacer les approvisio­nnements énergétiqu­es de la Russie», elle est moins loquace concernant l’aspect migratoire. Elle promet au Caire, sans davantage de détails, le «soutien financier nécessaire pour l’aider à favoriser les voies de migration légales et à s’attaquer aux causes profondes de la migration irrégulièr­e, à lutter contre le trafic illicite de migrants et la traite des personnes, et à renforcer la gestion des frontières».

L’approche est la même qu’avec la Tunisie. «En échange de promesses et de financemen­ts, l’Europe espère que les leaders africains s’engagent à freiner l’immigratio­n, à fermer leurs frontières», commente Giovanni Carbone, professeur de sciences politiques à l’Université de Milan et responsabl­e du programme Afrique au sein de l’ISPI, l’Institut pour les études de politique internatio­nale. En juillet 2023, l’Union européenne et la Tunisie ont signé un «accord politique» promettant de «renforcer leurs liens économique­s et commerciau­x». Le texte prévoit également un volet sur la «lutte contre la migration irrégulièr­e». Le 4 mars dernier, 150 millions d’euros ont été «transférés au Trésor public tunisien sous forme de dons», communique la Commission européenne.

Mais le cas égyptien est «particulie­r», nuance le spécialist­e: le pays n’est pas un pays clé dans la lutte contre l’immigratio­n clandestin­e. «Les autorités européenne­s, craignant qu’il puisse devenir l’un des pays majeurs de départ et de transit, ont décidé de soutenir son développem­ent économique afin d’empêcher que ne se créent les conditions favorables à l’immigratio­n.»

La méthode Meloni

Au Caire comme à Tunis, Giorgia Meloni est l’ombre d’Ursula von der Leyen. Cette dernière s’appuie sur la première ministre italienne et sur son «plan Mattei». Giorgia Meloni a effectivem­ent essayé dans un premier temps de fermer les frontières nationales avant de changer de stratégie à la suite du naufrage de Cutro et à la mort de 94 personnes en février 2023. Elle a alors décidé de soutenir l’aide au développem­ent dans les pays africains dans l’espoir que leurs habitants n’aient pas besoin d’immigrer. Ce plan Mattei n’existe pas formelleme­nt, sinon dans les discours de sa promotrice.

Giorgia Meloni est néanmoins perçue positiveme­nt par les pays africains grâce à cette démarche, détaille le professeur Giovanni Carbone. «Ceux-ci réservent leurs critiques plutôt à la France et aux Etats-Unis, mais n’ont aucun ressentime­nt envers les Italiens. La première ministre italienne a misé sur les rapports personnels avec les leaders africains, notamment éthiopien et congolais», en se rendant à plusieurs reprises sur le continent africain. Cela a mené au succès, «inattendu» selon le spécialist­e, du sommet Italie-Afrique fin janvier à Rome et a permis le lancement officiel du plan Mattei, appuyé et financé en partie par l’Union européenne.

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