Une «Flûte enchantée» teintée de religion tintinophile
A l’Opéra de Lausanne, Eric Vigié accentue la dimension comique du «Singspiel» de Mozart au détriment de la fable initiatique, qui passe au second plan. Au pupitre, le chef Frank Beermann est sincère et attentif
On sort la tête pleine d’images et d’impressions un peu en pagaille après avoir vu La Flûte enchantée mise en scène par Eric Vigié. Au «bric-à-brac maçonnique», dont le directeur de l’Opéra de Lausanne dit avoir voulu se débarrasser pour son spectacle d’adieu, se substitue un autre bric-à-brac, tant les références abondent. On y trouve des allusions à Tintin (Le Lotus bleu, Tintin au Tibet), à la religion confucéenne, au bouddhisme tibétain, à l’Egypte ancienne et au peuple des Incas… Avec une bonne dose de kitsch assumé (des peluches, des vidéos, etc.) qui vise sans doute à alléger ce propos maçonnique jugé trop pesant ou pédant.
Mais à force de multiplier les références et contextes religieux, on ne sait plus trop où se situer en tant que spectateur. La touche de burlesque tend à phagocyter l’espace théâtral au détriment de la fable initiatique où deux âmes, celles du jeune aristocrate Tamino et de Pamina, sont appelées à mûrir intérieurement. Cette Flûte enchantée devient un divertissement pur, alors que l’essence même de l’ouvrage est d’inviter à un double niveau de lecture par son mélange de sacré et de profane, de sentiments nobles et naïfs.
Vulnérabilité évanouie
Evidemment, on peut tout à fait apprécier le spectacle dans sa dimension ludique et quelque peu persifleuse. Un dragon de la mythologie orientale hante l’ouverture, et c’est toute une part de merveilleux qui s’éveille. Certaines scènes sont harmonieuses visuellement, alors que d’autres souffrent d’une accumulation de symboles et signes disparates. Le plus intéressant est la manière de portraiturer Pamina en jeune femme qui cherche à s’émanciper du rôle de fille sage et de fiancée subalterne, mais voilà qu’elle en devient outrée; la soprano bulgare Tamara Banjesevic surjoue le personnage, et la vulnérabilité de Pamina, poignante à l’acte II, passe à la trappe.
Au début, on se laisse volontiers embarquer dans ce récit exotique. Mais au-delà des clins d’oeil à Tintin qui nous ramènent délicieusement en enfance, le spectacle nous semble trop relâché théâtralement. Il ne suffit pas de représenter un yogi en méditation ou des moines tibétains en prière pour nous faire croire qu’un chemin initiatique est en marche – Tamino s’y montrant bien peu crédible! Ou alors il faudrait s’en moquer plus ouvertement.
Fil conducteur trop ténu
Cette Flûte enchantée peut compter sur la direction sincère et sans chichis du chef Frank Beermann. Les couleurs mozartiennes éclosent dans la fosse, les musiciens de l’Orchestre de chambre de Lausanne épousent les voix dans leurs inflexions. Le baryton Björn Bürger est un Papageno alerte et dégourdi (peu importe son âge avancé) face au Tamino plus emprunté d’Oleksiy Palchykov. Ce ténor ukrainien brille davantage par sa vaillance – un timbre clair et claironnant – que par sa douceur. Tamara Banjesevic présente une belle voix corsée en Pamina, hélas insuffisamment nuancée.
Marie-Eve Munger atteint les suraigus de la Reine de la Nuit mais la ligne vocale est un peu crispée. Guilhem Worms (Sarastro) en impose scéniquement malgré des graves un peu courts, tandis que Pablo Garcia-Lopez compose un très bon Monostatos. On est sous le charme des Trois Garçons chantés ici essentiellement par des filles, et les Trois Dames forment un bon trio également. Beaucoup d’idées, donc, pour cette Flûte enchantée exploitant à plein la machinerie théâtrale avec de nombreux décors, mais au fil conducteur hélas trop ténu.
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