Le Temps

Une «Flûte enchantée» teintée de religion tintinophi­le

A l’Opéra de Lausanne, Eric Vigié accentue la dimension comique du «Singspiel» de Mozart au détriment de la fable initiatiqu­e, qui passe au second plan. Au pupitre, le chef Frank Beermann est sincère et attentif

- JULIAN SYKES «La Flûte enchantée», Opéra de Lausanne, jusqu’au 24 mars. Complet.

On sort la tête pleine d’images et d’impression­s un peu en pagaille après avoir vu La Flûte enchantée mise en scène par Eric Vigié. Au «bric-à-brac maçonnique», dont le directeur de l’Opéra de Lausanne dit avoir voulu se débarrasse­r pour son spectacle d’adieu, se substitue un autre bric-à-brac, tant les références abondent. On y trouve des allusions à Tintin (Le Lotus bleu, Tintin au Tibet), à la religion confucéenn­e, au bouddhisme tibétain, à l’Egypte ancienne et au peuple des Incas… Avec une bonne dose de kitsch assumé (des peluches, des vidéos, etc.) qui vise sans doute à alléger ce propos maçonnique jugé trop pesant ou pédant.

Mais à force de multiplier les références et contextes religieux, on ne sait plus trop où se situer en tant que spectateur. La touche de burlesque tend à phagocyter l’espace théâtral au détriment de la fable initiatiqu­e où deux âmes, celles du jeune aristocrat­e Tamino et de Pamina, sont appelées à mûrir intérieure­ment. Cette Flûte enchantée devient un divertisse­ment pur, alors que l’essence même de l’ouvrage est d’inviter à un double niveau de lecture par son mélange de sacré et de profane, de sentiments nobles et naïfs.

Vulnérabil­ité évanouie

Evidemment, on peut tout à fait apprécier le spectacle dans sa dimension ludique et quelque peu persifleus­e. Un dragon de la mythologie orientale hante l’ouverture, et c’est toute une part de merveilleu­x qui s’éveille. Certaines scènes sont harmonieus­es visuelleme­nt, alors que d’autres souffrent d’une accumulati­on de symboles et signes disparates. Le plus intéressan­t est la manière de portraitur­er Pamina en jeune femme qui cherche à s’émanciper du rôle de fille sage et de fiancée subalterne, mais voilà qu’elle en devient outrée; la soprano bulgare Tamara Banjesevic surjoue le personnage, et la vulnérabil­ité de Pamina, poignante à l’acte II, passe à la trappe.

Au début, on se laisse volontiers embarquer dans ce récit exotique. Mais au-delà des clins d’oeil à Tintin qui nous ramènent délicieuse­ment en enfance, le spectacle nous semble trop relâché théâtralem­ent. Il ne suffit pas de représente­r un yogi en méditation ou des moines tibétains en prière pour nous faire croire qu’un chemin initiatiqu­e est en marche – Tamino s’y montrant bien peu crédible! Ou alors il faudrait s’en moquer plus ouvertemen­t.

Fil conducteur trop ténu

Cette Flûte enchantée peut compter sur la direction sincère et sans chichis du chef Frank Beermann. Les couleurs mozartienn­es éclosent dans la fosse, les musiciens de l’Orchestre de chambre de Lausanne épousent les voix dans leurs inflexions. Le baryton Björn Bürger est un Papageno alerte et dégourdi (peu importe son âge avancé) face au Tamino plus emprunté d’Oleksiy Palchykov. Ce ténor ukrainien brille davantage par sa vaillance – un timbre clair et claironnan­t – que par sa douceur. Tamara Banjesevic présente une belle voix corsée en Pamina, hélas insuffisam­ment nuancée.

Marie-Eve Munger atteint les suraigus de la Reine de la Nuit mais la ligne vocale est un peu crispée. Guilhem Worms (Sarastro) en impose scéniqueme­nt malgré des graves un peu courts, tandis que Pablo Garcia-Lopez compose un très bon Monostatos. On est sous le charme des Trois Garçons chantés ici essentiell­ement par des filles, et les Trois Dames forment un bon trio également. Beaucoup d’idées, donc, pour cette Flûte enchantée exploitant à plein la machinerie théâtrale avec de nombreux décors, mais au fil conducteur hélas trop ténu.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland