Ados et internet: aucune solution simpliste ne sera efficace
L’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem propose de rationner l’accès à internet à un volume de 3 gigaoctets par semaine. En 2023, Emmanuel Macron avait lancé l’idée de couper l’accès aux réseaux sociaux lors d’émeutes
L’idée est si absurde qu’elle fait sourire. Pour protéger les adolescents des côtés sombres d’internet, autant rationner tout le monde. Pas plus de 3 gigaoctets de données par semaine, soit l’équivalent de trois heures de films en streaming en qualité standard. Avec son idée, l’ancienne ministre française Najat Vallaud-Belkacem veut d’ailleurs faire davantage que préserver les ados: elle veut protéger l’environnement, améliorer le débat public et «commencer à revivre, enfin»
A part nous divertir, cette proposition a un autre mérite: nous montrer de façon flagrante l’inapplicabilité et l’inefficacité des solutions simplistes face à l’addiction aux écrans, notamment pour les plus jeunes. De nombreux pays occidentaux tentent de suivre la voie chinoise, qui impose des limitations draconiennes aux enfants: pas d’accès en ligne après 22h et une limitation du nombre de minutes passées chaque jour en ligne. Pour cela, Pékin tente – il n’est d’ailleurs même pas certain que cela soit un succès – de s’appuyer sur la coopération de géants nationaux du web que le régime tient en laisse.
Mais ici, rien de tout cela ne peut être pris en considération. On n’imagine pas l’Etat dicter notre comportement en ligne. On n’envisage pas non plus sérieusement que TikTok, Snapchat ou YouTube acceptent de s’associer à de telles limitations via des mesures techniques. Tout cela est irréaliste.
On n’imagine pas l’Etat dicter notre comportement en ligne
Parlons aussi du contrôle de l’âge minimum pour accéder à ces plateformes. Celles-ci ne font aucun effort sérieux pour vérifier l’âge de leurs utilisateurs: au contraire, elles tentent par tous les moyens d’attirer les plus jeunes. En face, plusieurs Etats, de la France à la Grande-Bretagne, essayent de mettre en place des mesures techniques pour pouvoir effectuer cette vérification. Mais aucune des solutions envisagées n’offre de garanties, toutes semblant contournables. Avec des plateformes réticentes et de jeunes utilisateurs très malins, l’équation est insoluble.
On peut vivement le regretter, mais pour l’heure, c’est un fait: ni l’Etat (à part peut-être avec des campagnes de prévention) ni les réseaux sociaux ne peuvent ou ne veulent agir efficacement. C’est aux parents de tenter de guider leurs enfants en ligne. La responsabilité individuelle est immense. Mais aucun autre acteur ne peut aujourd’hui se substituer à eux pour accomplir cette tâche.
XIl se passe quelque chose en France autour des limitations d’accès au web. Ou, en tout cas, autour des idées à ce sujet. Ce lundi, dans une tribune publiée dans Le Figaro, Najat Vallaud-Belkacem a émis l’idée de rationner les connexions en ligne à un maximum de 3 gigaoctets par semaine. Et on se souvient qu’en juillet 2023, Emmanuel Macron avait lancé l’idée de restreindre l’accès aux réseaux sociaux, voire de les couper, lors d’émeutes urbaines.
Najat Vallaud-Belkacem n’a beau plus être au gouvernement – elle est actuellement directrice de l’ONG ONE et la présidente de France Terre d’asile –, elle a longtemps été au pouvoir. Elle fut en effet ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche d’août 2014 à mai 2017 dans les gouvernements de Manuel Valls et de Bernard Cazeneuve. Dans sa tribune, Najat Vallaud-Belkacem se
«Il y a une urgence numérique comme il y a une urgence climatique» NAJAT VALLAUD-BELKACEM, ANCIENNE MINISTRE SOCIALISTE FRANÇAISE
demande: «Avons-nous besoin de tant d’internet que cela?», citant notre addiction aux écrans, la toxicité des réseaux sociaux, la pornographie en ligne ou encore la démocratisation des deepfakes (fausses vidéos). Citant aussi son cas personnel – elle regarde les réseaux sociaux avant de s’endormir –, l’ancienne ministre constate que «nous sommes incapables de nous poser des limites». Elle émet ainsi une proposition: «Si nous savons que nous n’avons que 3 gigas à utiliser sur une semaine, nous n’allons sans doute pas les passer à mettre des commentaires haineux ou fabriquer des fakes.»
«La pire manière»
Cette restriction aurait, selon Najat Vallaud-Belkacem, une multitude d’effets positifs, «en termes de développement cognitif, pour la santé, mais aussi pour lutter contre les discriminations, le harcèlement, le réchauffement climatique et bien d’autres enjeux absolument fondamentaux pour aujourd’hui». Selon la responsable, «peut-être cesserons-nous de considérer comme «normal» de passer plusieurs heures sur des sites pornographiques à regarder des vidéos en ultra HD.»
Najat Vallaud-Belkacem anticipe les critiques. Pour elle, ce n’est pas une idée réactionnaire. «Il me semble au contraire qu’une telle mesure est profondément progressiste: parce qu’elle permet concrètement de faire face à l’une des grandes sources de pollution – le numérique.» L’ancienne ministre affirme qu’il «est possible de coder sans ordinateur, avec un crayon et un papier». Et elle apporte une touche quasi philosophique à son appel: «Il y a une urgence numérique comme il y a une urgence climatique. Elle ne consiste pas à envoyer dans l’espace des satellites supplémentaires, mais à débrancher la prise, à éteindre nos écrans, et à commencer à revivre, enfin.»
Immédiatement, la tribune de Najat Vallaud-Belkacem a suscité une vague de réactions et surtout de critiques. «Rationner autoritairement internet? Probablement la pire manière d’aborder le débat sur notre rapport aux écrans. Traiter les risques mérite tellement mieux qu’une approche manichéenne et hors sol de l’espace numérique dont les usages sont aussi nombreux que les usagers», a ainsi écrit sur X (ex-Twitter) Marina Ferrari, actuelle secrétaire d’Etat chargée du Numérique. En parallèle à cette question politique, il y a aussi l’apparente impossibilité technique de concrétiser une telle limitation. A noter qu’un volume de 3 gigaoctets correspond à peu près à trois heures de visionnement de films en streaming.
Ce n’est pas la première fois qu’une proposition radicale est émise en France. La dernière fois, c’était le président de la République lui-même qui l’avait mise sur la table. Le 4 juillet 2023, alors que la France avait été secouée par des émeutes urbaines, Emmanuel Macron avait déclaré ceci devant les maires de 200 communes: «Nous avons besoin d’avoir une réflexion sur les réseaux sociaux, sur les interdictions qu’on doit mettre. Et quand les choses s’emballent, il faut peut-être se mettre en situation de les réguler ou de les couper.»
Les jours précédents, de jeunes émeutiers avaient notamment utilisé des réseaux sociaux pour coordonner leurs actions et pour partager des images de celles-ci. Très vite, les propos d’Emmanuel Macron ont suscité des critiques de la part de plusieurs partis. Et rien de concret n’a été décidé depuis en France.
En Suisse, on parle d’électricité
En Suisse, aucune idée de ce type n’a été lancée récemment. En février, le Conseil fédéral a mis en consultation un projet d’ordonnance en cas de pénurie d’électricité. Le texte prévoit trois étapes pour la désactivation progressive des fréquences de téléphonie mobile. Le blocage de certains sites web est aussi envisagé. «Il est prévu de bloquer certains sites internet à haute fréquentation, comme les plateformes de médias sociaux, de vidéos ou de musique», écrivait le Conseil fédéral. Mais on parle bien là de mesures pour économiser l’énergie – et pas pour discipliner des adolescents incontrôlables en ligne.
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