Le Conseil fédéral devrait parler de la situation de sécurité
Le Conseil fédéral est conscient du risque de guerre auquel nous sommes exposés. Dans une phrase très sobre, d’une voix mesurée, pesant chaque mot, le conseiller fédéral Ignazio Cassis a déclaré le 13 mars dernier que «certains des évènements qui se produisent actuellement rappellent tragiquement la période qui a précédé la Seconde Guerre mondiale, et c’est préoccupant, à savoir les foyers de crise, la course aux armements et la montée du racisme dans nos sociétés». Il s’exprimait au cours d’une interview de l’émission Rundschau de la SRF. C’est un ton plus alarmant que celui qu’adoptait le chef du DFAE dans l’avant-propos de la Stratégie de politique extérieure, parue le 31 janvier dernier.
Jusqu’ici le Conseil fédéral, estimant que nous nous trouvions dans un changement d’époque durable, avait évité de tracer des parallèles historiques, du moins en public. Il est clair que si les perspectives s’assombrissent, il faudra en tirer des conséquences pratiques. Si certains éléments font en effet penser aux années 1930, la menace d’emploi des armes nucléaires amène plutôt les observateurs à évoquer une troisième guerre mondiale aux effets encore plus terrifiants.
Celle-ci pourrait être déclenchée par accident, à la suite d’un malentendu ou d’une erreur d’interprétation, par un excès de confiance en soi des dirigeants, la fameuse hubris, ou encore délibérément. Aux guerres ouvertes d’Ukraine et de Gaza s’ajoutent le conflit latent autour d’une conquête militaire de Taïwan et l’éventuel déclenchement d’hostilités dans la péninsule coréenne, du fait de la Corée du Nord, sans parler du Caucase du Sud ou des guerres africaines (Soudan, Congo) dans lesquelles les troupes russes interviennent. Dans chacun de ces théâtres, on retrouve l’un des quatre pays qui sont unis dans leur volonté de combattre les pays occidentaux: ils veulent remplacer le système démocratique fondé sur le respect du droit international par l’autoritarisme, supprimer la référence aux valeurs telles que les droits de l’homme et instaurer un nouveau multilatéralisme reflétant le rapport de force qui leur serait favorable.
Ils utilisent déjà le cyberespace à leurs fins. Les spécialistes se demandent si les conflits qui éclatent sur la planète obéissent à un effort concerté entre ces quatre pays – Russie, Chine, Iran et Corée du Nord –, auquel cas nous assisterions aux prémices d’une nouvelle guerre mondiale. D’autres au contraire mettent en doute ce concept, notant que les intérêts de ces puissances se concentrent avant tout sur la région où elles se situent et qu’elles poursuivent des objectifs qui ne sont pas les mêmes: on ne saurait donc parler d’une alliance proprement dite. Il n’en demeure pas moins que le défi que doivent relever les pays industrialisés du Nord global est bien réel et nécessite ce que le président Macron appelle un «sursaut» pour écarter les menaces «existentielles» qui pèsent sur nos démocraties. De telles craintes sontelles exagérées?
On voit bien que les esprits se divisent également dans notre pays. Le chef de l’armée et les responsables de la politique de sécurité partagent l’analyse pessimiste sur la montée des périls. Leur mise en garde est relayée au parlement, où se préparent des initiatives pour accélérer le rééquipement de l’armée. Jusqu’ici, la gauche n’en veut pas, refusant de donner la priorité aux dépenses militaires. Elle fait valoir la primauté des dépenses sociales. En fait, budget militaire et financement de la sécurité sociale devraient aller de pair, comme ce fut le cas dans l’après-guerre. Il faudra sans doute attendre l’aggravation de la situation en Europe, selon les éventuels développements de la guerre en Ukraine, pour provoquer une réaction de l’opinion publique. Une prise de position pondérée mais ferme du Conseil fédéral, allant dans le sens de la réflexion du conseiller fédéral Cassis ci-dessus mentionnée, et donnant une appréciation réaliste du risque sécuritaire auquel nous devrons faire face, serait de nature à rééquilibrer ce débat.
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