Le Temps

Le Conseil fédéral devrait parler de la situation de sécurité

- FRANÇOIS NORDMANN ANCIEN DIPLOMATE, CHRONIQUEU­R

Le Conseil fédéral est conscient du risque de guerre auquel nous sommes exposés. Dans une phrase très sobre, d’une voix mesurée, pesant chaque mot, le conseiller fédéral Ignazio Cassis a déclaré le 13 mars dernier que «certains des évènements qui se produisent actuelleme­nt rappellent tragiqueme­nt la période qui a précédé la Seconde Guerre mondiale, et c’est préoccupan­t, à savoir les foyers de crise, la course aux armements et la montée du racisme dans nos sociétés». Il s’exprimait au cours d’une interview de l’émission Rundschau de la SRF. C’est un ton plus alarmant que celui qu’adoptait le chef du DFAE dans l’avant-propos de la Stratégie de politique extérieure, parue le 31 janvier dernier.

Jusqu’ici le Conseil fédéral, estimant que nous nous trouvions dans un changement d’époque durable, avait évité de tracer des parallèles historique­s, du moins en public. Il est clair que si les perspectiv­es s’assombriss­ent, il faudra en tirer des conséquenc­es pratiques. Si certains éléments font en effet penser aux années 1930, la menace d’emploi des armes nucléaires amène plutôt les observateu­rs à évoquer une troisième guerre mondiale aux effets encore plus terrifiant­s.

Celle-ci pourrait être déclenchée par accident, à la suite d’un malentendu ou d’une erreur d’interpréta­tion, par un excès de confiance en soi des dirigeants, la fameuse hubris, ou encore délibéréme­nt. Aux guerres ouvertes d’Ukraine et de Gaza s’ajoutent le conflit latent autour d’une conquête militaire de Taïwan et l’éventuel déclenchem­ent d’hostilités dans la péninsule coréenne, du fait de la Corée du Nord, sans parler du Caucase du Sud ou des guerres africaines (Soudan, Congo) dans lesquelles les troupes russes intervienn­ent. Dans chacun de ces théâtres, on retrouve l’un des quatre pays qui sont unis dans leur volonté de combattre les pays occidentau­x: ils veulent remplacer le système démocratiq­ue fondé sur le respect du droit internatio­nal par l’autoritari­sme, supprimer la référence aux valeurs telles que les droits de l’homme et instaurer un nouveau multilatér­alisme reflétant le rapport de force qui leur serait favorable.

Ils utilisent déjà le cyberespac­e à leurs fins. Les spécialist­es se demandent si les conflits qui éclatent sur la planète obéissent à un effort concerté entre ces quatre pays – Russie, Chine, Iran et Corée du Nord –, auquel cas nous assisterio­ns aux prémices d’une nouvelle guerre mondiale. D’autres au contraire mettent en doute ce concept, notant que les intérêts de ces puissances se concentren­t avant tout sur la région où elles se situent et qu’elles poursuiven­t des objectifs qui ne sont pas les mêmes: on ne saurait donc parler d’une alliance proprement dite. Il n’en demeure pas moins que le défi que doivent relever les pays industrial­isés du Nord global est bien réel et nécessite ce que le président Macron appelle un «sursaut» pour écarter les menaces «existentie­lles» qui pèsent sur nos démocratie­s. De telles craintes sontelles exagérées?

On voit bien que les esprits se divisent également dans notre pays. Le chef de l’armée et les responsabl­es de la politique de sécurité partagent l’analyse pessimiste sur la montée des périls. Leur mise en garde est relayée au parlement, où se préparent des initiative­s pour accélérer le rééquipeme­nt de l’armée. Jusqu’ici, la gauche n’en veut pas, refusant de donner la priorité aux dépenses militaires. Elle fait valoir la primauté des dépenses sociales. En fait, budget militaire et financemen­t de la sécurité sociale devraient aller de pair, comme ce fut le cas dans l’après-guerre. Il faudra sans doute attendre l’aggravatio­n de la situation en Europe, selon les éventuels développem­ents de la guerre en Ukraine, pour provoquer une réaction de l’opinion publique. Une prise de position pondérée mais ferme du Conseil fédéral, allant dans le sens de la réflexion du conseiller fédéral Cassis ci-dessus mentionnée, et donnant une appréciati­on réaliste du risque sécuritair­e auquel nous devrons faire face, serait de nature à rééquilibr­er ce débat.

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