Un variant très français du complotisme
C’est l’histoire délirante qui remonte à la surface à chaque fois que l’actualité française se calme un peu. Avec L’Affaire Madame (Editions StudioFact), un ouvrage qui sort en librairie ce vendredi 22 mars, la journaliste Emmanuelle Anizon revient sur «l’anatomie d’une fake news» qui a pris une ampleur insensée depuis 2021. L’affabulation qui prétend que la première dame française, Brigitte Macron, serait une femme transgenre.
L’autrice du livre, grand reporter à L’Obs,a décidé de rentrer dans la tête des complotistes à l’origine de cette théorie. De les suivre au plus près, de recueillir leur parole pour essayer de comprendre leur démarche, leur fonctionnement et ce dont ils sont le symptôme. Sans a priori, sans mépris. Elle préfère d’ailleurs les qualifier de «défiants», un mot plus neutre qui «ne juge pas et permet d’englober une variété plus diversifiée de personnes».
Emmanuelle Anizon avait déjà brillamment couvert le mouvement des Gilets jaunes, ce qui n’est sûrement pas un hasard. On croise en effet dans son livre les mêmes témoignages écoeurés par la «malveillance des élites dévoyées» et par un système dont la classe politique «obéit aux banques et aux labos». On retrouve aussi les accusations contre les journalistes qui «censurent» et «désinforment», contre la «perversité d’un monde défini par l’impunité des puissants», «ces «ils» et ces «eux» qui «nous piétinent». On croise aussi l’opposition radicale aux vaccins, qui «servent juste à engraisser l’industrie pharmaceutique au détriment de la santé des enfants».
La publication de cette enquête n’est pas le seul retour de l’affaire Brigitte Macron aux premières loges ces derniers jours. Le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, c’est Emmanuel Macron lui-même qui a décidé de réagir pour la première fois sur ces «humiliations qui sont insupportables», ces «fausses informations montées par des fadas, qui vous bousculent y compris dans votre intimité».
Puis c’est le jeune avocat insurrectionnel et/ mais germanopratin Juan Branco qui a fait des vagues cette semaine avec une vidéo dans laquelle il affirme qu’Emmanuel Macron n’a rien de mieux à faire que «de prétendre au déclenchement d’une troisième guerre mondiale pour cacher les rumeurs sur la transsexualité de sa femme». Ces dernières années, il s’était fait remarquer en cherchant à surfer sur la vague des Gilets jaunes après avoir livré en pâture l’homosexualité de Gabriel Attal, son ancien camarade (ou plutôt ennemi) de classe à l’Ecole alsacienne, la plus prestigieuse de la capitale. Bref, un pur produit de la fabrique des élites françaises qui se retourne contre elles dans une démarche borderline.
On le voit, à chaque résurgence, l’affaire Brigitte Macron semble mettre en lumière une forme de complotisme à la française. La suspicion envers les dirigeants revient bien sûr souvent comme un trait commun aux conspirationnismes qui pullulent partout dans le monde, y compris en Suisse. Mais la verticalité de la société française et de son système politique, cette tendance à tout strictement hiérarchiser, y compris les écoles et les personnes, semble nourrir un variant bien français du complotisme. Celui-ci, comme dans toute structure pyramidale, se concentre systématiquement sur la tête du «système», qui se limite à une poignée de personnes, voire une seule, le président. Les feux du complotisme à la française se focalisent donc plus qu’ailleurs. Une obsession centripète qui, avec le temps, ne peut qu’impliquer que l’on arrive à des théories de plus en plus délirantes sur le coeur du pouvoir. ■