Malaise au Parti socialiste genevois
TENSIONS «L’affaire Bachmann» sème la discorde au sein du parti à la rose. Les députés n’ont pas apprécié les remontrances de la magistrate Carole-Anne Kast à l’égard du président du parti, Thomas Wenger
Le Parti socialiste genevois traverse de vives tensions. Et étonnamment, c’est «l’affaire Bachmann», un patronyme issu du parti du Centre, qui a mis le feu aux poudres. Pour rappel, le 13 mars, le Conseil d’Etat a nommé le père de la conseillère d’Etat du Centre Delphine Bachmann, qui est également l’ex-beau-frère de la magistrate PLR Nathalie Fontanet, à la direction générale de l’Office cantonal des systèmes d’information et du numérique (Ocsin). Ce service dépend du Département des institutions et du numérique, dont la socialiste Carole-Anne Kast a la charge. L’UDC dénonce une preuve flagrante de «népotisme». Président du Parti socialiste et également membre de la Commission des finances, Thomas Wenger embraye sur Léman Bleu: «Ces liens familiaux» peuvent provoquer de possibles «conflits d’intérêts».
De son côté, Carole-Anne Kast défend une nomination respectueuse des règles, soulignant que le critère de «compétence» a prévalu. Tout comme lors de la nomination, Delphine Bachmann se récusera du collège à chaque décision concernant son père. Toutefois, Carole-Anne Kast n’apprécie pas que sa famille politique se soit jointe à la polémique: elle accuse Thomas Wenger de régler ses comptes, au motif qu’elle ne soutient pas sa candidature à un nouveau mandat à la tête du Parti socialiste. Elle lui adresse un courriel, avec en copie les députés socialistes, dans lequel elle lui reproche d’avoir ignoré ses consignes, soit de renvoyer les médias à la réponse officielle du département et de «ne pas alimenter une polémique sur la place publique».
«Une erreur politique»?
Ces remontrances indignent au sein du Parti socialiste. «Les députés jouent un rôle de contre-pouvoir vis-à-vis du Conseil d’Etat, rappelle l’un de ses membres, sous couvert d’anonymat. Leur rôle est également d’exprimer un désaccord, y compris avec leur magistrate. Elle devra par ailleurs composer avec les députés socialistes durant les cinq prochaines années.» Plusieurs voix considèrent que la nomination relève d’une erreur politique. «Il est délicat de nommer au sein de la haute administration une personne dont la fille est conseillère d’Etat», juge Alberto Velasco, député de longue date. «La position de M. Wenger est celle du Parti socialiste. Il est normal et usuel qu’il l’exprime», souligne-t-il. Un regret l’anime: «Toutes ces personnes sont élues car un parti les a portées. Auparavant les conseillers d’Etat, comme Micheline Calmy-Rey, consultaient le comité directeur lors d’importante décision.»
Sur le fond et sur la forme, le groupe PS partage le questionnement de Thomas Wenger sur l’opportunité d’une telle nomination. «Indépendamment du cas d’espèce, je pense qu’il est normal, sain et démocratique qu’un président puisse communiquer publiquement la position politique de son parti», résume Caroline Marti, cheffe de groupe au Grand Conseil. Elle appelle à l’apaisement: «Les députés ne veulent pas alimenter cette polémique et se placent dans une recherche de dialogue avec leur magistrate.» Preuve d’un certain malaise, plusieurs élus contactés par Le Temps ont préféré se murer dans le silence. La période est délicate: le Parti socialiste se réunit samedi pour élire sa présidence.
Ses membres choisiront entre le duo composé de Pascal Holenweg et Salma Selle, privilégié par Carole-Anne Kast, ou la réélection de Thomas Wenger. Les désaccords entre un magistrat et son parti sont courants en politique, relativise Charles Beer, conseiller d’Etat de 2003 à 2013: «Ces tensions sont structurelles. Elles s’aggravent lorsqu’un conseiller d’Etat applique une loi dont l’esprit a évolué avec le temps. C’est le cas avec la notion de «conflit d’intérêts», derrière laquelle existe une marge d’interprétation.» «De mon expérience, certains conseillers d’Etat estiment que le parti est à leur service. D’autres acceptent plus facilement d’être isolés lors de décisions clivantes», observe une ancienne membre du comité directeur du Parti socialiste.
Contacté, Thomas Wenger relève simplement que «les divergences entre un magistrat et son parti devraient être traitées au sein des instances internes», tandis que Carole-Anne Kast n’a pas souhaité s’exprimer. Le congrès socialiste prévu samedi verra peut-être les deux protagonistes laver leur linge sale en famille. ■
«Ces tensions entre un magistrat et son parti sont structurelles» CHARLES BEER, CONSEILLER D’ÉTAT DE 2003 À 2013