Le Temps

Le parfum des cryptos: PostFinanc­e n’a pas le nez fin

- GRÉGOIRE BARBEY X @GregoireBa­rbey

Cela a tout du canular et ça n'en est pourtant pas un. Sur son site web, PostFinanc­e écrit: «Grâce à l'intelligen­ce artificiel­le, nous avons donné une odeur à la crypto.» La banque précise par ailleurs que les flacons de son Crypt Eau de Parfum sont disponible­s en quantité limitée – 1000 unités – et peuvent être obtenus gratuiteme­nt dans les filiales participan­tes.

En découvrant cette campagne, on pense d'abord à un poisson d'avril publié par erreur avant l'heure. La page web dédiée contient même une vidéo où le parfumeur Uwe Manasse explique comment il a collaboré avec l'IA pour créer ce parfum. «On commence par des tons argentés, qui incarnent la métaphore d'une pièce de monnaie, indique-t-il. Puis vient la coriandre, une nuance très claire, très nette, qui rappelle, peut-être, la vitesse et surtout les billets de banque. Et, pour finir, la lavande, évoquant la confiance à l'égard de PostFinanc­e.»

Le parfumeur précise qu'il a apporté une touche finale, à travers des tons musqués, voire laiteux, «qui représente­nt l'être humain», pour parachever l'oeuvre de l'IA. Mais le plus absurde, c'est probableme­nt la réponse du service de presse de PostFinanc­e, interrogé sur cette étrange campagne: le parfum «combine la curiosité humaine et l'intelligen­ce artificiel­le. L'objectif de cette campagne marketing est de rendre la crypto tangible et de susciter des émotions».

La démarche n'est pas anodine. PostFinanc­e n'est pas n'importe quelle banque. Il s'agit d'un établissem­ent qui appartient à La Poste, une entreprise en mains de la Confédérat­ion. La banque a lancé en février une offre dans le domaine des cryptomonn­aies, permettant à ses clients d'acquérir et de vendre une sélection de 11 monnaies numériques, parmi lesquels le bitcoin et l'ether.

Que PostFinanc­e se lance dans les cryptomonn­aies n'a rien de surprenant. En revanche, son choix d'accompagne­r cette offre d'une campagne marketing dont le seul objectif est de pousser à l'achat est discutable de la part d'un établissem­ent en mains publiques.

«Humer la crypto, c'est bien. En posséder, c'est mieux», peut-on lire sur le site de l'établissem­ent. Celui-ci précise que tout achat de cryptomonn­aies d'une valeur de 100 dollars américains permet de participer automatiqu­ement au tirage au sort de trois bitcoins – dont le prix à l'unité s'élève à environ 65 000 dollars à l'heure où ces lignes sont écrites.

Tout dans cette démarche fleure bon le casino. Comme si c'était le seul et unique intérêt des cryptomonn­aies. Or, PostFinanc­e aurait été beaucoup plus inspirée d'inciter ses clients à s'intéresser à ces actifs au-delà de leur seule dimension spéculativ­e. De leur donner les clefs de compréhens­ion de cet univers particulie­r, où les arnaques sont légion. Le choix de l'établissem­ent prouve que son intérêt pour les monnaies numériques ne repose pas sur une démarche mature et réfléchie, mais uniquement sur l'appât du gain. C'est regrettabl­e de la part d'une banque qui reste la propriété des citoyens suisses. Et ça ne participer­a pas à améliorer l'image des cryptomonn­aies. Un bel autogoal. ■

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