Tandis que Berlin vacille, l’économie suisse résiste
Depuis la pandémie, Berne suit une trajectoire qui diffère de celle de son principal partenaire commercial. L’économie helvétique continue de croître, alors que celle de son grand voisin stagne dangereusement
Historiquement, la Suisse et l’Allemagne sont étroitement liées. Lorsque la première économie européenne souffre, cela se ressent partout sur le Vieux-Continent. Mais les deux pays suivent des trajectoires opposées depuis plusieurs années. Alors que le produit intérieur brut (PIB) de la Suisse a progressé de 6,1% depuis le quatrième trimestre 2019, celui de l’Allemagne a stagné (+0,1%).
«La Suisse a beaucoup mieux surmonté la crise sanitaire. L’écart de performance entre les deux pays s’est nettement accentué durant la pandémie», a souligné mardi en conférence de presse Eric Scheidegger, chef de la direction de politique économique du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco).
A la suite de la crise du coronavirus, l’économie suisse s’est redressée de manière plus rapide que l’économie allemande. Mais cette dernière se développait déjà plus faiblement avant la chute due à la pandémie.
Industrie en mutation
Cette différence s’explique notamment par la structure industrielle des deux pays, et en particulier la force de l’industrie pharmaceutique en Suisse. Moins sensible aux soubresauts conjoncturels, le secteur pharmaceutique a connu un véritable boom durant la pandémie. En 2021, la part des produits pharmaceutiques représentait 5,7% de la création de valeur totale en Suisse, contre seulement 0,9% en Allemagne.
La Suisse a pu également s’appuyer sur les bonnes performances de l’industrie horlogère. Dans l’ensemble, le secteur du luxe s’avère résistant aux fluctuations conjoncturelles et à l’inflation. A l’inverse, les secteurs de la construction mécanique et de l’automobile, très forts en Allemagne, souffrent nettement plus de la conjoncture. «Le fait que l’industrie automobile allemande se trouve en pleine phase de mutation structurelle en raison de l’électrification de la branche aggrave encore la situation», relève Eric Scheidegger.
Une autre explication de ce découplage entre les deux pays réside dans l’inflation. En Suisse, la hausse des prix a été modérée en comparaison internationale. A son niveau le plus élevé, l’inflation n’a jamais dépassé 3,5%, tandis qu’en Allemagne le renchérissement a atteint un sommet de 8,8% en octobre 2022. Ce qui a naturellement eu un impact sur la consommation privée. Alors que celle-ci a soutenu l’économie suisse au cours des derniers trimestres, la consommation des ménages a plongé en Allemagne.
Ces dernières années, le marché allemand a perdu en importance pour les produits suisses. La part des exportations de marchandises helvétiques vers l’Allemagne est passée de près d’un quart en 1988 à environ 16% aujourd’hui, alors que le marché américain a gagné en importance, note Eric Scheidegger. Depuis 2021, la Suisse exporte davantage vers les Etats-Unis que vers l’Allemagne, ce qui explique aussi pourquoi son industrie résiste à la faiblesse de l’économie outre-Rhin. A l’inverse, les Etats-Unis affichent une croissance vigoureuse depuis plusieurs trimestres, dont profite l’économie suisse.
L’Allemagne prise au piège
«Le mot de stagnation résume parfaitement l’état de l’économie allemande, explique au Temps Gilbert Casasus, professeur émérite en études européennes à l’Université de Fribourg. Premièrement, elle paie au prix fort les mauvais choix opérés sur le plan énergétique, d’une part en choisissant le charbon pour ses centrales thermiques, d’autre part avec le gaz russe et tout ce que cela signifie en termes de dépendance géopolitique.»
Deuxièmement, le pays est également «pris au piège dans son idéologie du frein à l’endettement, estime ce spécialiste de l’Allemagne. La conséquence de ne pas faire de déficit est que les investissements sont en perte de vitesse.» Résultat, «l’Allemagne a perdu de son attractivité et n’est plus à la pointe. La preuve, le «modèle économique» allemand est une expression qui n’est plus du tout utilisée depuis des années.» A l’inverse, la Suisse a joué sur ses atouts en maintenant sa capacité d’innovation, relève-t-il.
Reste que la léthargie de l’économie allemande «n’est pas une bonne nouvelle, ni pour la Suisse ni pour l’Union européenne», souligne Gilbert Casasus. Selon le Seco, le PIB helvétique devrait progresser de 1,1% cette année, hors événements sportifs. L’économie devrait par la suite gagner en vigueur et croître de 1,7% en 2025. Les experts de la Confédération tablent sur un «retour à la normale» l’an prochain, grâce à une reprise progressive de l’économie mondiale.
■