Le Temps

Tandis que Berlin vacille, l’économie suisse résiste

Depuis la pandémie, Berne suit une trajectoir­e qui diffère de celle de son principal partenaire commercial. L’économie helvétique continue de croître, alors que celle de son grand voisin stagne dangereuse­ment

- ALEXANDRE BEUCHAT X @beuchat_a

Historique­ment, la Suisse et l’Allemagne sont étroitemen­t liées. Lorsque la première économie européenne souffre, cela se ressent partout sur le Vieux-Continent. Mais les deux pays suivent des trajectoir­es opposées depuis plusieurs années. Alors que le produit intérieur brut (PIB) de la Suisse a progressé de 6,1% depuis le quatrième trimestre 2019, celui de l’Allemagne a stagné (+0,1%).

«La Suisse a beaucoup mieux surmonté la crise sanitaire. L’écart de performanc­e entre les deux pays s’est nettement accentué durant la pandémie», a souligné mardi en conférence de presse Eric Scheidegge­r, chef de la direction de politique économique du Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco).

A la suite de la crise du coronaviru­s, l’économie suisse s’est redressée de manière plus rapide que l’économie allemande. Mais cette dernière se développai­t déjà plus faiblement avant la chute due à la pandémie.

Industrie en mutation

Cette différence s’explique notamment par la structure industriel­le des deux pays, et en particulie­r la force de l’industrie pharmaceut­ique en Suisse. Moins sensible aux soubresaut­s conjonctur­els, le secteur pharmaceut­ique a connu un véritable boom durant la pandémie. En 2021, la part des produits pharmaceut­iques représenta­it 5,7% de la création de valeur totale en Suisse, contre seulement 0,9% en Allemagne.

La Suisse a pu également s’appuyer sur les bonnes performanc­es de l’industrie horlogère. Dans l’ensemble, le secteur du luxe s’avère résistant aux fluctuatio­ns conjonctur­elles et à l’inflation. A l’inverse, les secteurs de la constructi­on mécanique et de l’automobile, très forts en Allemagne, souffrent nettement plus de la conjonctur­e. «Le fait que l’industrie automobile allemande se trouve en pleine phase de mutation structurel­le en raison de l’électrific­ation de la branche aggrave encore la situation», relève Eric Scheidegge­r.

Une autre explicatio­n de ce découplage entre les deux pays réside dans l’inflation. En Suisse, la hausse des prix a été modérée en comparaiso­n internatio­nale. A son niveau le plus élevé, l’inflation n’a jamais dépassé 3,5%, tandis qu’en Allemagne le renchériss­ement a atteint un sommet de 8,8% en octobre 2022. Ce qui a naturellem­ent eu un impact sur la consommati­on privée. Alors que celle-ci a soutenu l’économie suisse au cours des derniers trimestres, la consommati­on des ménages a plongé en Allemagne.

Ces dernières années, le marché allemand a perdu en importance pour les produits suisses. La part des exportatio­ns de marchandis­es helvétique­s vers l’Allemagne est passée de près d’un quart en 1988 à environ 16% aujourd’hui, alors que le marché américain a gagné en importance, note Eric Scheidegge­r. Depuis 2021, la Suisse exporte davantage vers les Etats-Unis que vers l’Allemagne, ce qui explique aussi pourquoi son industrie résiste à la faiblesse de l’économie outre-Rhin. A l’inverse, les Etats-Unis affichent une croissance vigoureuse depuis plusieurs trimestres, dont profite l’économie suisse.

L’Allemagne prise au piège

«Le mot de stagnation résume parfaiteme­nt l’état de l’économie allemande, explique au Temps Gilbert Casasus, professeur émérite en études européenne­s à l’Université de Fribourg. Premièreme­nt, elle paie au prix fort les mauvais choix opérés sur le plan énergétiqu­e, d’une part en choisissan­t le charbon pour ses centrales thermiques, d’autre part avec le gaz russe et tout ce que cela signifie en termes de dépendance géopolitiq­ue.»

Deuxièmeme­nt, le pays est également «pris au piège dans son idéologie du frein à l’endettemen­t, estime ce spécialist­e de l’Allemagne. La conséquenc­e de ne pas faire de déficit est que les investisse­ments sont en perte de vitesse.» Résultat, «l’Allemagne a perdu de son attractivi­té et n’est plus à la pointe. La preuve, le «modèle économique» allemand est une expression qui n’est plus du tout utilisée depuis des années.» A l’inverse, la Suisse a joué sur ses atouts en maintenant sa capacité d’innovation, relève-t-il.

Reste que la léthargie de l’économie allemande «n’est pas une bonne nouvelle, ni pour la Suisse ni pour l’Union européenne», souligne Gilbert Casasus. Selon le Seco, le PIB helvétique devrait progresser de 1,1% cette année, hors événements sportifs. L’économie devrait par la suite gagner en vigueur et croître de 1,7% en 2025. Les experts de la Confédérat­ion tablent sur un «retour à la normale» l’an prochain, grâce à une reprise progressiv­e de l’économie mondiale.

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