Le Temps

Les salaires, pomme de discorde entre patronat et syndicat

Hier à Berne, l’Office fédéral de la statistiqu­e s’est réjoui des chiffres sur la structure des salaires 2022: le revenu médian augmente et les inégalités salariales entre femmes et hommes diminuent. Pourtant, le salaire réel baisse. Explicatio­ns et passe

- ANNICK CHEVILLOT, BERNE X @chevillot_a

L’Office fédéral de la statistiqu­e (OFS) s’est prêté hier à un étonnant exercice d’équilibris­te. Inviter syndicat et patronat à la même table pour présenter les données 2022 sur la structure des salaires relève de la gageure, tant les tensions entre les deux camps sont palpables.

Les principale­s pommes de discorde? Les salaires évidemment avec la question de la compensati­on du renchériss­ement et, aussi, l’avènement des salaires minimaux cantonaux. La passe d’armes entre l’Union patronale suisse et l’Union syndicale suisse a presque éclipsé les bonnes nouvelles du jour.

Boris Zürcher, chef de la direction du travail au Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco), s’est voulu résolument optimiste: «Entre 2020 et 2022, la répartitio­n des salaires est restée remarquabl­ement stable, compte tenu de la crise du covid. Nous n’observons pas non plus de dérive des bas salaires, grâce notamment aux CCT.»

De son côté, Georges-Simon Ulrich, directeur de l’OFS, a présenté des chiffres plutôt positifs: «Le salaire médian pour un poste à 100% s’élevait à 6788 francs en 2022.» Il était de 6665 francs en 2020. L’analyse du patron de l’OFS va un peu plus loin dans le temps également: «La pyramide générale des salaires est restée relativeme­nt stable entre 2008 et 2022.» Une stabilité que l’on retrouve aussi dans l’écart entre les salaires les plus bas et les plus élevés: les 10% des salariés les moins bien rémunérés ont gagné moins de 4487 francs par mois alors que les 10% les mieux payés ont gagné plus de 12 178 francs. Georges-Simon Ulrich souligne encore qu’entre 2008 et 2022 «les salaires ont augmenté à tous les niveaux, mais la hausse pour les bas et les hauts salaires a été plus forte».

Réduction des inégalités

Autre fait notable de l’enquête de l’OFS: «L’écart global de salaire entre les femmes et les hommes se réduit régulièrem­ent», relève Didier Froidevaux, chef de la section salaires et conditions de travail à l’OFS. Si l’égalité salariale n’est pas encore d’actualité, la différence s’élevait à 9,5% en 2022, contre 10,8% en 2020 et 11,5% en 2018. La tendance vers une réduction des inégalités s’accentue et ce taux passe pour la première fois sous la barre symbolique des 10%. Didier Froidevaux note encore: «La part des femmes qui gagnent peu se réduit, alors que la part de celles qui gagnent plus de 16 000 francs par mois augmente.»

Les disparités régionales et par branches d’activité existent toujours et n’ont pas beaucoup évolué entre 2020 et 2022. C’est toujours à Zurich que le niveau de rémunérati­on est le plus élevé et au Tessin le plus bas. Les branches à forte valeur ajoutée (informatiq­ue, industrie pharmaceut­ique, banque et industrie du tabac) se trouvent toujours en haut de la pyramide salariale, tandis que le commerce de détail, la restaurati­on, l’hébergemen­t et les services à la personne se situent au plus bas.

Durant la présentati­on de ces résultats, le chef de l’OFS a rappelé à plusieurs reprises l’importance du partenaria­t social dans le pays. Une sorte d’appel à la médiation entre syndicat et patronat, qui a été peu entendu. Roland Müller, directeur de l’Union patronale suisse (UPS), et Daniel Lampart, économiste en chef de l’Union syndicale suisse (USS), se sont lancé des attaques directes, par discours interposés.

«Rattrapage salarial» exigé

C’est que si le salaire médian a augmenté, le salaire réel, lui, a baissé à cause du renchériss­ement. La diminution est de 0,8% entre 2020 et 2022. Cette donnée chiffrée par le Seco pousse l’USS à exiger «un rattrapage salarial». De son côté, l’UPS a salué «une situation extrêmemen­t stable». L’analyse des données de la Confédérat­ion tranche fortement entre l’USS et l’UPS. Le plaidoyer contre la «jungle des salaires minimums cantonaux» de Roland Müller a marqué Daniel Lampart qui s’est dit «très irrité par les bas salaires des jeunes qui sortent d’apprentiss­age».

Mais le bras de fer ne s’arrête pas là. Les mots «Union européenne» n’ont pas été prononcés, mais les deux parties savent que la réussite du projet d’accord entre la Suisse et l’UE dépend d’elles en partie. Le syndicalis­te menace de quitter la table des négociatio­ns dans le dossier européen sans garantie sur la protection des salaires. Le patron des patrons, lui, sait bien qu’il devra lâcher du lest pour que les accords voient le jour. Face à leur désunion, Daniel Lampart a constaté, avec une pointe d’humour, que «le partenaria­t social n’est pas une histoire d’amour. Juste une relation utilitaire». Les deux hommes sont partis dos à dos.

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