La petite musique des amours chagrines
Guillaume Canet et Alba Rohrwacher forment un couple inédit dans «Hors-saison», le nouveau film de Stéphane Brizé. Une romance adulte plus originale qu’il n’y paraît
Comment faire encore aujourd’hui un film d’amour? L’heure n’est plus au romantisme et c’est tout le cinéma qui s’en ressent, comme s’il n’y croyait plus – à part Claude Lelouch, dont les derniers films ne sortent d’ailleurs plus en salle. Il faut donc savoir gré à Stéphane Brizé de renouer avec cette veine où il a toujours fait figure de réaliste, de Je ne suis pas là pour être aimé (2005) à Mademoiselle Chambon (2009). La Mostra de Venise ne s’y est pas trompée, qui a sélectionné en compétition Hors-Saison. Et malgré l’apparente minceur du scénario, coécrit avec Marie Drucker, ceci est bien un film d’auteur.
Existences à l’arrêt
Soit donc un acteur parisien connu qui subit un gros «trou d’air» à l’approche de la cinquantaine. Alors qu’il voulait tenter une première expérience sur scène, il a paniqué et s’est réfugié dans une petite cité balnéaire pour une semaine de thalassothérapie. Sa compagne au bout du fil, journaliste TV très occupée (voix de Marie Drucker), ne peut pas comprendre. Entre deux séances, il erre dans l’hôtel et tente de lire des scénarios sans parvenir à atténuer son spleen. Puis soudain, tout change lorsqu’il tombe par hasard sur un visage connu, celui d’une femme qu’il a aimée – et abandonnée – quinze ans plus tôt. Professeure de piano, elle vit là une existence tranquille avec son mari et sa fille. Et pourtant, l’envie de se revoir l’emporte…
C’est un peu les retrouvailles de la France d’en haut et de la France d’en bas, sur une tonalité uniformément dépressive. Après sa «trilogie sociale» avec Vincent Lindon (La Loi du marché, En guerre, Un Autre Monde, 20152021) et son adaptation de l’implacable Une Vie (2016) de Maupassant, Stéphane Brizé renonce à la caméra portée pour mieux saisir ces existences à l’arrêt.
En de longs plans larges, il explore aussi bien les lieux et l’ambiance que les personnages. Surtout fréquenté par le 3e âge, l’hôtel est terriblement aseptisé. Au début du printemps, la mer du Nord distille toujours une mélancolie tenace, renforcée par la petite musique en sourdine qu’a composée Vincent Delerm. Et c’est là-dessus que ressurgit l’amour, comme un vieux fantôme.
A Guillaume Canet pris comme une évidence, une variante de lui-même, le cinéaste a surtout eu l’intelligence d’adjoindre une actrice plus mystérieuse, l’Italienne Alba Rohrwacher. Avec son accent et sa beauté qu’il faut aller chercher, la soeur de la réalisatrice Alice Rohrwacher est la bouée d’un film qui aurait pu couler à pic. Entre un fond de ressentiment, une insatisfaction devinée et un éventuel désir de renouer, elle devient aussi captivante que lui restera médiocre.
Amants désillusionnés
Et puis, il y a «sa vieille amie Lucette», qui, dans un étonnant plan-séquence, raconte sa drôle de vie amoureuse: documentaire ou habile fiction, peu importe, la banale romance y gagne une nouvelle profondeur.
Certes, ce n’est pas l’inoubliable poésie du désespoir de Moderato cantabile de Marguerite Duras et Peter Brook, mais pas non plus le chabadabada décérébré d’Un homme et une femme. Juste les retrouvailles douces-amères d’amants désillusionnés qui ont compris que leur complémentarité d’un instant ne fait pas encore l’amour d’une vie. Plutôt triste, mais bien vu.
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Hors-saison, de Stéphane Brizé (France, 2024), avec Guillaume Canet, Alba Rohrwacher, Sharif Andoura, Marie Drucker, Lucette Beudin, 1h55.