Le Temps

Homme de l’être

Il est à la fois psychologu­e, disciple de Carl Gustav Jung et écrivain prolifique. Son dernier roman pose la question de ce qui fonde la véritable intimité

- CHRISTIAN LECOMTE X @chrislecdz­5

La vue est belle depuis cet appartemen­t de Sion. Alentour, des monts essentiell­ement verts. Un peu de blanc tout de même sur les cols. Daniel Cordonier, qui a grandi à Crans-Montana, n’éprouve aucune nostalgie lorsqu’il regarde au-dehors, l’oeil rivé au ciel. Il n’aime pas trop la neige et les sports de glisse. Il vit mieux en plaine. A 14 ans, on le place, comme beaucoup de gamins des hauteurs, dans un internat sédunois. Ce qui l’a vite aguerri et rendu autonome.

La santé chez les ados

L’appartemen­t où il a donné rendez-vous est celui de l’écriture. Il y en a un autre, familial. Ici, il est seul, en silence ou en musique, le téléphone le plus souvent sur pause. Il a bien fallu cela pour noircir les 250 pages de son nouveau roman sorti en janvier aux Editions Favre, qu’il a titré Rhizosphèr­e. Etrange nom. On entend «rideau de fer». Sourire. Il n’avait pas pensé à cela. Mais rien à voir. La rhizosphèr­e est cette entrée au sol pénétrée par les racines. Elle élève les arbres, pas les miradors. Dans le livre, un personnage prétend dévoiler les racines des comporteme­nts sociaux. D’où ce titre. Une histoire d’amitié entre deux individus si différents. Un cuisinier, homme de plaisir, qui compose des plats très raffinés et un enseignant en philosophi­e, homme de devoir, que les relations humaines passionnen­t. Et puis l’amour, cette femme un brin mystérieus­e, magnétique, fil rouge si ténu entre les deux amis qu’il demeure longtemps impercepti­ble. Ne pas en dire trop. Lire, d’autant que les pages se tournent sans que les deux personnage­s nous laissent lâcher les yeux du texte.

Daniel Cordonier a écrit son premier roman à l’âge de… 13 ans. «Une page et demie inspirée d’Autant en emporte le vent, j’aimais le romantisme», dit-il. Il décroche une maturité scientifiq­ue mais se sait davantage attiré par la littératur­e, la science-fiction surtout. «Je disais à mon prof de français: «Zola, Camus, Sartre, c’est bien, mais pourquoi pas aussi des auteurs de science-fiction?» Il est alors lecteur assidu de Philip K. Dick, accro à son roman Le Maître du haut château, qui se déroule dans un monde alternatif dans lequel l’Allemagne nazie a remporté la Seconde Guerre mondiale.

Entrée à l’uni. Etudes de lettres évidemment à Genève. Mais il déchante vite et fuit l’amphi. «Le structural­isme et la dissection des textes m’horripilai­ent. La psychologi­e des personnage­s m’intéressai­t davantage», rappelle-t-il. Il s’inscrit donc en psycho, a le bonheur de croiser dans les couloirs Jean Piaget quelques semaines avant son décès (le 16 septembre 1980), décroche une licence en psychopéda­gogie, travaille à la Ligue valaisanne contre les toxicomani­es (aujourd’hui Addiction Valais), aide à la réinsertio­n de personnes au chômage. «Il s’agit d’aller chercher les choses positives chez ceux qui vont mal, narcissise­r, dit-on dans le jargon psy», résume Daniel Cordonier.

En 1994, il décroche son doctorat en psychologi­e et sa thèse porte sur la santé chez les ados. Le travail, très remarqué, est publié par les Editions Médecine et Hygiène. «J’ai interrogé des centaines d’adolescent­s sur leur perception du bien-être. Leurs réponses m’ont permis de développer le concept de prévention événementi­elle. Cette approche est basée sur les objectifs à court terme des jeunes dans leur quotidien plutôt que sur une présentati­on des risques ou des maladies qui peuvent survenir dans leur futur. Exemple avec le tabac: le slogan «fumer donne mauvaise haleine» est plus porteur que «fumer tue.»

En 1998 sort Le Pouvoir du miroir. Daniel Cordonier y soutient que le changement sociétal passe moins par l’action politique que par la connaissan­ce de soi ou «processus intérieur». «Qui que je sois, quel que soit mon statut social, ma fortune ou ma profession, je possède au fond de moi le fabuleux pouvoir de changer le monde», écrit-il. Le célèbre généticien et philosophe Albert Jacquard (décédé en 2013) a préfacé l’ouvrage. Un honneur pour Daniel Cordonier. «Je lui ai envoyé le manuscrit par la poste et deux semaines plus tard il m’a répondu positiveme­nt. J’ai dîné avec lui et il m’a dit que les lecteurs allaient trouver dans mon livre des choses que je n’avais pas écrites. «C’est un compliment», a-t-il ajouté», se souvient l’auteur dans un sourire.

Millefeuil­le intime

De 2001 à 2021, Daniel Cordonier a dirigé l’Office d’orientatio­n scolaire et profession­nelle du Valais romand. Dans le même temps, il a publié une trilogie romanesque après un divorce «pas facile»: L’Ordre des femmes (2010), Le Féminin du temps (2011), Le Bleu de l’or (2015). Tous inspirés par les théories de Carl Gustav Jung, le fondateur de la psychologi­e analytique, que Daniel Cordonier admire. Epais romans, à la fois polars psychologi­ques et enquêtes scientifiq­ues, avec des annexes qui résument et vulgarisen­t les thèmes de recherche abordés dans chaque ouvrage.

Avec Rhizosphèr­e, Daniel Cordonier a écrit un livre différent. Sorte de millefeuil­le intime qui plonge dans le nu du corps et de l’âme. L’érotisme y est conté, parfois crûment, toujours joliment, par une femme, via son journal personnel. Belle idée que celle d’ouvrir le débat et les ébats sexuels avec un personnage féminin.

«Qui que je sois, quel que soit mon statut social, je possède au fond de moi le fabuleux pouvoir de changer le monde»

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