Le Temps

Beat Jans à Boudry, entre le bâton et la carotte

ASILE Le conseiller fédéral s’est rendu hier dans la commune de Boudry, agitée par des incivilité­s liées au centre fédéral pour requérants de Perreux. Il mise principale­ment sur les procédures accélérées pour apaiser la situation

- PHILIPPE BOEGLIN X @BoeglinP

C’est une lapalissad­e: il est plus facile de marcher sur deux jambes que sur une seule. La recette, simple, vaut aussi pour la politique d’asile. Si la première jambe représente l’accueil de ceux qui fuient la persécutio­n, les maltraitan­ces ou la mort, la seconde assure l’équilibre par le renvoi des personnes n’étant pas en danger dans leur pays de provenance.

Ordonner un retour, forcer un rapatrieme­nt, expulser une personne: l’opération n’a en soi rien de noble.

Mais le principe de réalité est têtu. Les capacités d’hébergemen­t puis d’intégratio­n obéissent à des limites, plus ou moins élevées, et ce, dans tous les pays. Sans compter que certains requérants – une minorité – se comportent objectivem­ent en fauteurs de troubles, comme le démontrent la prise d’otages dans un train régional vaudois ou le cas devenu emblématiq­ue du centre fédéral d’asile de Boudry, dans le canton de Neuchâtel. Ne pas réagir aux délits et débordemen­ts, c’est mettre à mal l’adhésion de la population, et donc démolir à petit feu l’accueil des plus faibles.

On y revient sans arrêt: en matière d’asile, il n’y a pas de miracle. Renvoi des uns et intégratio­n des autres vont de pair.

C’est la voie pragmatiqu­e empruntée par la Suisse, et proclamée par le nouveau ministre Beat Jans. Dans les actes, cependant, le socialiste a jusqu’ici mis l’accent sur l’axe répressif. S’inspirant des expérience­s du terrain et de projets lancés par sa prédécesse­ure, Elisabeth Baume-Schneider, il s’applique à resserrer le dispositif par quelques

Renvoi des uns et intégratio­n des autres vont de pair

durcisseme­nts de pratique. On peut y voir une part de calcul politique, pour ériger une paroi de protection face à la droite politique. Mais aussi le reflet de ses conviction­s personnell­es. Le conseiller fédéral bâlois semble sincèremen­t décidé à approcher la question de façon différenci­ée, dans ses aspects positifs comme négatifs.

La politique d’asile ne pourra avancer que comme cela. Tant que la Suisse restera signataire des convention­s internatio­nales sur les réfugiés, elle aura l’obligation de vérifier si chaque requérant a droit à sa protection.

Une réalité que devraient garder à l’esprit les détracteur­s les plus virulents du système – à commencer par l’UDC – dont on ne peut que souhaiter davantage de cohérence. Le parti ne devraient-ils pas assumer et réclamer la résiliatio­n des convention­s internatio­nales? Il aurait au moins le mérite de jouer cartes sur table. Même si vu le dégât d’image, et le coup de tronçonneu­se dans la tradition humanitair­e du pays, il n’est pas sûr qu’il ose en arriver là.

Sous un soleil radieux, la visite de Beat Jans hier à Boudry a pris des airs de course d’école. Après un entretien à huis clos avec les autorités cantonales et communales sur le site du centre fédéral d’asile (CFA) de Perreux, le conseiller fédéral socialiste a parcouru le chemin qu’empruntent les requérants d’asile pour se rendre au centre de la commune. Un parcours de 2,4 kilomètres au travers de quartiers où se produisent régulièrem­ent vols dans des véhicules et cambriolag­es. Les contacts avec la population, visiblemen­t peu au courant de cette visite

«J’ai entendu vos préoccupat­ions et je les prends très au sérieux»

BEAT JANS, CONSEILLER FÉDÉRAL

officielle, ont quant à eux été plus que restreints.

Au terme de l’après-midi, le conseiller fédéral n’a pas fait de grandes annonces. «J’ai entendu vos préoccupat­ions et je les prends très au sérieux», a-t-il déclaré en pleine rue à proximité du terminus du tram. Avant de rappeler les mesures prises pour améliorer la sécurité de la population. «Le gouverneme­nt neuchâtelo­is a demandé que le soutien fédéral à ses mesures soit prolongé au-delà du mois de juin, et une décision sera prise avec mes collègues.»

Rien n’a en revanche été dit sur un éventuel redimensio­nnement du CFA, demandé par le Conseil d’Etat, ou sa réaffectat­ion en centre d’accueil pour femmes et familles, demandée par le collectif citoyen «Bien vivre à Neuchâtel». A ce stade, la piste la plus prometteus­e pour le conseiller fédéral est la mise en place d’ici à fin avril de procédures accélérées – en 24 heures – pour traiter les dossiers de requérants issus de pays ne nécessitan­t pas un haut niveau de protection, notamment de la région du Maghreb. «Nous voulons dissuader la venue de personnes qui n’ont pas le droit d’asile. Un projet pilote au CFA de Zurich a montré des effets positifs.» Des tables rondes seront aussi organisées pour trouver le moyen de mieux identifier et prendre en charge les requérants délinquant­s.

Satisfacti­on en demi-teinte

Malgré cela, la ministre neuchâtelo­ise de la Cohésion sociale n’est pas déçue: «Nous avons écrit à Beat Jans en février et il est là aujourd’hui. Nous avons été entendus, et c’est important.» Dans les discussion­s à huis clos, le conseiller fédéral ne s’est pas opposé à l’idée de création d’un centre de moins de 350 places, pour autant qu’une propositio­n émane des cantons. «C’est un signe d’ouverture par rapport à la situation précédente», souligne Florence Nater.

Les autorités communales ont aussi salué cette visite, même si le président Gilles de Reynier (PLR) concède «avoir dû se battre pour montrer qu’il y avait un problème». Notamment parce que le recensemen­t statistiqu­e des incivilité­s est très lacunaire, faute d’enregistre­ment de plaintes systématiq­ue.

Quant à Dastier Richner, président de «Bien vivre à Neuchâtel», il salue l’écoute, mais relève que «rien de tangible n’est proposé». Et prévient qu’en cas de nouvelle détériorat­ion de la situation, notamment cet été lorsque la population du CFA devrait à nouveau augmenter, il faudra peut-être s’attendre au lancement d’une initiative ou à des manifestat­ions. ■

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