Beat Jans à Boudry, entre le bâton et la carotte
ASILE Le conseiller fédéral s’est rendu hier dans la commune de Boudry, agitée par des incivilités liées au centre fédéral pour requérants de Perreux. Il mise principalement sur les procédures accélérées pour apaiser la situation
C’est une lapalissade: il est plus facile de marcher sur deux jambes que sur une seule. La recette, simple, vaut aussi pour la politique d’asile. Si la première jambe représente l’accueil de ceux qui fuient la persécution, les maltraitances ou la mort, la seconde assure l’équilibre par le renvoi des personnes n’étant pas en danger dans leur pays de provenance.
Ordonner un retour, forcer un rapatriement, expulser une personne: l’opération n’a en soi rien de noble.
Mais le principe de réalité est têtu. Les capacités d’hébergement puis d’intégration obéissent à des limites, plus ou moins élevées, et ce, dans tous les pays. Sans compter que certains requérants – une minorité – se comportent objectivement en fauteurs de troubles, comme le démontrent la prise d’otages dans un train régional vaudois ou le cas devenu emblématique du centre fédéral d’asile de Boudry, dans le canton de Neuchâtel. Ne pas réagir aux délits et débordements, c’est mettre à mal l’adhésion de la population, et donc démolir à petit feu l’accueil des plus faibles.
On y revient sans arrêt: en matière d’asile, il n’y a pas de miracle. Renvoi des uns et intégration des autres vont de pair.
C’est la voie pragmatique empruntée par la Suisse, et proclamée par le nouveau ministre Beat Jans. Dans les actes, cependant, le socialiste a jusqu’ici mis l’accent sur l’axe répressif. S’inspirant des expériences du terrain et de projets lancés par sa prédécesseure, Elisabeth Baume-Schneider, il s’applique à resserrer le dispositif par quelques
Renvoi des uns et intégration des autres vont de pair
durcissements de pratique. On peut y voir une part de calcul politique, pour ériger une paroi de protection face à la droite politique. Mais aussi le reflet de ses convictions personnelles. Le conseiller fédéral bâlois semble sincèrement décidé à approcher la question de façon différenciée, dans ses aspects positifs comme négatifs.
La politique d’asile ne pourra avancer que comme cela. Tant que la Suisse restera signataire des conventions internationales sur les réfugiés, elle aura l’obligation de vérifier si chaque requérant a droit à sa protection.
Une réalité que devraient garder à l’esprit les détracteurs les plus virulents du système – à commencer par l’UDC – dont on ne peut que souhaiter davantage de cohérence. Le parti ne devraient-ils pas assumer et réclamer la résiliation des conventions internationales? Il aurait au moins le mérite de jouer cartes sur table. Même si vu le dégât d’image, et le coup de tronçonneuse dans la tradition humanitaire du pays, il n’est pas sûr qu’il ose en arriver là.
Sous un soleil radieux, la visite de Beat Jans hier à Boudry a pris des airs de course d’école. Après un entretien à huis clos avec les autorités cantonales et communales sur le site du centre fédéral d’asile (CFA) de Perreux, le conseiller fédéral socialiste a parcouru le chemin qu’empruntent les requérants d’asile pour se rendre au centre de la commune. Un parcours de 2,4 kilomètres au travers de quartiers où se produisent régulièrement vols dans des véhicules et cambriolages. Les contacts avec la population, visiblement peu au courant de cette visite
«J’ai entendu vos préoccupations et je les prends très au sérieux»
BEAT JANS, CONSEILLER FÉDÉRAL
officielle, ont quant à eux été plus que restreints.
Au terme de l’après-midi, le conseiller fédéral n’a pas fait de grandes annonces. «J’ai entendu vos préoccupations et je les prends très au sérieux», a-t-il déclaré en pleine rue à proximité du terminus du tram. Avant de rappeler les mesures prises pour améliorer la sécurité de la population. «Le gouvernement neuchâtelois a demandé que le soutien fédéral à ses mesures soit prolongé au-delà du mois de juin, et une décision sera prise avec mes collègues.»
Rien n’a en revanche été dit sur un éventuel redimensionnement du CFA, demandé par le Conseil d’Etat, ou sa réaffectation en centre d’accueil pour femmes et familles, demandée par le collectif citoyen «Bien vivre à Neuchâtel». A ce stade, la piste la plus prometteuse pour le conseiller fédéral est la mise en place d’ici à fin avril de procédures accélérées – en 24 heures – pour traiter les dossiers de requérants issus de pays ne nécessitant pas un haut niveau de protection, notamment de la région du Maghreb. «Nous voulons dissuader la venue de personnes qui n’ont pas le droit d’asile. Un projet pilote au CFA de Zurich a montré des effets positifs.» Des tables rondes seront aussi organisées pour trouver le moyen de mieux identifier et prendre en charge les requérants délinquants.
Satisfaction en demi-teinte
Malgré cela, la ministre neuchâteloise de la Cohésion sociale n’est pas déçue: «Nous avons écrit à Beat Jans en février et il est là aujourd’hui. Nous avons été entendus, et c’est important.» Dans les discussions à huis clos, le conseiller fédéral ne s’est pas opposé à l’idée de création d’un centre de moins de 350 places, pour autant qu’une proposition émane des cantons. «C’est un signe d’ouverture par rapport à la situation précédente», souligne Florence Nater.
Les autorités communales ont aussi salué cette visite, même si le président Gilles de Reynier (PLR) concède «avoir dû se battre pour montrer qu’il y avait un problème». Notamment parce que le recensement statistique des incivilités est très lacunaire, faute d’enregistrement de plaintes systématique.
Quant à Dastier Richner, président de «Bien vivre à Neuchâtel», il salue l’écoute, mais relève que «rien de tangible n’est proposé». Et prévient qu’en cas de nouvelle détérioration de la situation, notamment cet été lorsque la population du CFA devrait à nouveau augmenter, il faudra peut-être s’attendre au lancement d’une initiative ou à des manifestations. ■