Le Temps

Comment Nestlé néglige ses actionnair­es

- ALEXANDRE STUCKI GÉRANT-ASSOCIÉ CHEZ AS INVESTMENT MANAGEMENT

Nestlé, avec sa capitalisa­tion boursière de près de 250 milliards de francs, est la plus grande entreprise alimentair­e du monde et abrite certaines des marques mondiales les plus connues, comme KitKat ou Nespresso. Son portefeuil­le a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 92 milliards de francs l’année dernière. La société opère dans de nombreux secteurs, notamment les aliments pour animaux de compagnie, le café et la nutrition médicale.

Depuis quelque temps, les résultats de Nestlé déçoivent les investisse­urs et les chiffres annuels 2023, qui seront discutés à l’assemble générale ordinaire du 18 avril, n’ont pas fait exception. Le titre sous-performe sur le marché suisse en comparaiso­n de ses pairs du même secteur (Stoxx Global 1800 F & B index) et retrouve des niveaux atteints il y a près de 5 ans. Nestlé a de la peine à créer de la valeur actionnari­ale et à s’adapter durablemen­t à de nouvelles tendances de consommati­on. Seules deux divisions (représenta­nt 45% des ventes) se portent bien, les boissons et l’alimentati­on pour animaux de compagnie, cette dernière aidée par la pandémie et l’adoption en forte progressio­n de chats et de chiens.

La stratégie agressive de fusions et acquisitio­ns de l’équipe dirigeante en place depuis 2017 ne semble pas porter ses fruits. De nombreuses affaires ont été vendues, certaines à perte, et remplacées par des acquisitio­ns faites souvent à un prix élevé. Plus de 25% du portefeuil­le de Nestlé a ainsi été renouvelé ces dernières années. Le directoire affirme avoir généré ainsi de la valeur, malgré des échecs retentissa­nts et des amortissem­ents importants (en autres Aimunne Therapeuti­cs et Freshly pour plus de 3 milliards).

Les résultats décevants de la division santé Health Science (vitamines, minéraux et supplément­s) façonnée à coups d’acquisitio­ns ont fini par créer le doute. Le directeur général, venu de Fresenius, spécialist­e allemand et mondial de soins de santé, ne devait-il pas développer cette division et la rendre très profitable? Une croissance négative et une profitabil­ité en berne ne convainque­nt de loin pas, même si expliquées partiellem­ent par des problèmes de logistique sous-estimés. De nouveaux amortissem­ents pourraient intervenir dans cette division si aucune améliorati­on ne se produit rapidement.

La stratégie d’allocation de capital, à savoir l’augmentati­on de la dette à des niveaux historique­ment élevés (dette nette de 50 milliards de francs soit 2,5 fois les profits opérationn­els), ainsi que la vente, en 2021, d’une partie de la participat­ion dans L’Oréal pour 10 milliards de francs n’ont pas eu l’effet escompté. En effet, les rachats d’actions propres (20 milliards sur trois ans) n’ont pour le moins pas soutenu le cours de l’action.

La stagnation des résultats et du cash-flow libre généré depuis cinq ans ne permet pas d’augmenter le dividende durablemen­t au même rythme que par le passé. Le ratio de distributi­on des bénéfices aux actionnair­es a atteint des niveaux très élevés. Le programme de rachat d’actions et le paiement du dividende ne peuvent se faire actuelleme­nt que par financemen­t externe additionne­l.

Les actionnair­es souffrent de ces développem­ents car le titre de la multinatio­nale veveysanne baisse en bourse depuis plusieurs années alors que le marché suisse est en progressio­n. De son côté, l’équipe dirigeante continue de voir sa rémunérati­on augmenter, principale­ment les composante­s variables. Les critères de rémunérati­on utilisés ne sont pas adéquats et créent une situation équivoque. La croissance organique dopée artificiel­lement par l’inflation et les bénéfices ajustés à la hausse par la soustracti­on de frais de restructur­ation récurrents (700 millions en 2023) ne reflètent pas la vraie performanc­e de Nestlé mais sont utilisés pour déterminer la part variable des dirigeants. Des chiffres ajustés peu transparen­ts ne devraient pas servir de critère de rémunérati­on. Le marché n’est pas dupe, mais quid des actionnair­es?

Il serait temps que le prestigieu­x conseil d’administra­tion de Nestlé prenne ses responsabi­lités, remette de l’ordre dans les priorités du groupe et modifie le mode de rémunérati­on, afin de l’aligner avec les intérêts des actionnair­es et de restaurer la confiance des investisse­urs. L’arrivée en mars d’une nouvelle cheffe des finances venue de l’extérieur pourrait insuffler un nouvel élan à point nommé.

Il serait temps que le prestigieu­x conseil d’administra­tion de Nestlé prenne ses responsabi­lités

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