Comment Nestlé néglige ses actionnaires
Nestlé, avec sa capitalisation boursière de près de 250 milliards de francs, est la plus grande entreprise alimentaire du monde et abrite certaines des marques mondiales les plus connues, comme KitKat ou Nespresso. Son portefeuille a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 92 milliards de francs l’année dernière. La société opère dans de nombreux secteurs, notamment les aliments pour animaux de compagnie, le café et la nutrition médicale.
Depuis quelque temps, les résultats de Nestlé déçoivent les investisseurs et les chiffres annuels 2023, qui seront discutés à l’assemble générale ordinaire du 18 avril, n’ont pas fait exception. Le titre sous-performe sur le marché suisse en comparaison de ses pairs du même secteur (Stoxx Global 1800 F & B index) et retrouve des niveaux atteints il y a près de 5 ans. Nestlé a de la peine à créer de la valeur actionnariale et à s’adapter durablement à de nouvelles tendances de consommation. Seules deux divisions (représentant 45% des ventes) se portent bien, les boissons et l’alimentation pour animaux de compagnie, cette dernière aidée par la pandémie et l’adoption en forte progression de chats et de chiens.
La stratégie agressive de fusions et acquisitions de l’équipe dirigeante en place depuis 2017 ne semble pas porter ses fruits. De nombreuses affaires ont été vendues, certaines à perte, et remplacées par des acquisitions faites souvent à un prix élevé. Plus de 25% du portefeuille de Nestlé a ainsi été renouvelé ces dernières années. Le directoire affirme avoir généré ainsi de la valeur, malgré des échecs retentissants et des amortissements importants (en autres Aimunne Therapeutics et Freshly pour plus de 3 milliards).
Les résultats décevants de la division santé Health Science (vitamines, minéraux et suppléments) façonnée à coups d’acquisitions ont fini par créer le doute. Le directeur général, venu de Fresenius, spécialiste allemand et mondial de soins de santé, ne devait-il pas développer cette division et la rendre très profitable? Une croissance négative et une profitabilité en berne ne convainquent de loin pas, même si expliquées partiellement par des problèmes de logistique sous-estimés. De nouveaux amortissements pourraient intervenir dans cette division si aucune amélioration ne se produit rapidement.
La stratégie d’allocation de capital, à savoir l’augmentation de la dette à des niveaux historiquement élevés (dette nette de 50 milliards de francs soit 2,5 fois les profits opérationnels), ainsi que la vente, en 2021, d’une partie de la participation dans L’Oréal pour 10 milliards de francs n’ont pas eu l’effet escompté. En effet, les rachats d’actions propres (20 milliards sur trois ans) n’ont pour le moins pas soutenu le cours de l’action.
La stagnation des résultats et du cash-flow libre généré depuis cinq ans ne permet pas d’augmenter le dividende durablement au même rythme que par le passé. Le ratio de distribution des bénéfices aux actionnaires a atteint des niveaux très élevés. Le programme de rachat d’actions et le paiement du dividende ne peuvent se faire actuellement que par financement externe additionnel.
Les actionnaires souffrent de ces développements car le titre de la multinationale veveysanne baisse en bourse depuis plusieurs années alors que le marché suisse est en progression. De son côté, l’équipe dirigeante continue de voir sa rémunération augmenter, principalement les composantes variables. Les critères de rémunération utilisés ne sont pas adéquats et créent une situation équivoque. La croissance organique dopée artificiellement par l’inflation et les bénéfices ajustés à la hausse par la soustraction de frais de restructuration récurrents (700 millions en 2023) ne reflètent pas la vraie performance de Nestlé mais sont utilisés pour déterminer la part variable des dirigeants. Des chiffres ajustés peu transparents ne devraient pas servir de critère de rémunération. Le marché n’est pas dupe, mais quid des actionnaires?
Il serait temps que le prestigieux conseil d’administration de Nestlé prenne ses responsabilités, remette de l’ordre dans les priorités du groupe et modifie le mode de rémunération, afin de l’aligner avec les intérêts des actionnaires et de restaurer la confiance des investisseurs. L’arrivée en mars d’une nouvelle cheffe des finances venue de l’extérieur pourrait insuffler un nouvel élan à point nommé.
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Il serait temps que le prestigieux conseil d’administration de Nestlé prenne ses responsabilités