Le Temps

Y a-t-il trop d’énergie entre Biden et Trump?

- LAURENT HORVATH GÉOÉCONOMI­STE DE L’ÉNERGIE, CHRONIQUEU­R

A un battement de coeur ou un procès près, les citoyens américains devront choisir entre Joe Biden et Donald Trump. Cette revanche contient tous les ferments de l’élection la plus mouvementé­e de l’histoire des Etats-Unis.

Les électeurs font face à une vague de défis, eux qui financent déjà la hausse des prix en s’endettant avec des taux de crédit qui prennent l’ascenseur. La dette des ménages atteint des records, à plus de 17 500 milliards de dollars, pendant que le système de santé tousse. Mais les deux thématique­s qui polarisent le plus sont l’afflux de migrants et l’énergie.

Après la crise de 2008, Barack Obama s’est appuyé sur l’émergence du pétrole et du gaz de schiste pour remettre l’économie sur les rails, forgeant ainsi un concept «d’abondance» puis de «puissance énergétiqu­e». En toute modestie, Donald Trump éleva encore la doctrine au niveau de «domination énergétiqu­e» sur le reste du monde. Enfin, sous Biden, les extraction­s de pétrole et de gaz méthane ont atteint des niveaux inégalés au point de faire des Etats-Unis le plus grand producteur mondial d’or noir. Mais dans une posture schizophré­nique, la Maison-Blanche s’est reconnecté­e aux accords climatique­s de Paris et soutient les mécanismes d’une transition énergétiqu­e hors des hydrocarbu­res.

Les trumpistes ont rapidement repéré les points de faiblesse de ce jeu d’équilibris­te, d’autant que les prix de l’essence ont augmenté de 60% depuis l’arrivée de Biden. Les républicai­ns sont vent debout contre toute velléité de remplacer les énergies fossiles et voient dans la transition énergétiqu­e une occasion de fédérer ceux qui seront impactés. Les politiques environnem­entales font ainsi émerger de potentiell­es fractures sociétales entre les classes inférieure­s et moyennes, et les plus riches. Trump dénonce le poids disproport­ionné des taxes et des règlements sur les revenus moyens alors que les fortunés sont épargnés. Célébrées sur les réseaux sociaux, les frasques de ces derniers, en jet ou sur des bolides, ne font qu’amplifier un sentiment d’injustice et de malaise. La voiture électrique reste l’apanage des ménages à revenus élevés et les constructe­urs chinois menacent les emplois américains, selon les républicai­ns.

Le démocrate Biden va tout faire pour défendre sa stratégie de transition énergétiqu­e et son bilan climatique, mais il va continuer à s’appuyer sur des extraction­s record d’hydrocarbu­res pour stimuler l’économie. Le programme de 363 milliards de dollars destiné à attirer les cleantechs européenne­s fonctionne à merveille et aurait généré plus de 200 000 emplois, selon le gouverneme­nt. Pour calmer la pression de son électorat sensible au climat, Joe Biden vient symbolique­ment de refuser à l’industrie gazière américaine un blanc-seing pour extraire et exporter encore plus de gaz méthane. Une décision que Trump s’est engagé à renverser dès son premier jour s’il est élu.

Du côté de la géopolitiq­ue énergétiqu­e, la Maison-Blanche est scrutée. Grâce à la guerre en Ukraine, l’administra­tion Biden a pleinement réalisé un vieux rêve: remplacer le méthane russe par du gaz liquide made in USA. Tant que le méthane de schiste coulera à flots, on voit mal Biden redonner à Bruxelles son indépendan­ce.

Le retour de l’«America First» de Trump pourrait tendre les relations avec les grandes nations pétrolière­s que sont l’Iran et le Venezuela ainsi qu’avec la Chine, l’usine mondiale des énergies renouvelab­les. Selon l’ex-président, le pire est aux portes si le pays n’adopte pas la politique du pire. Une nouvelle sortie américaine de l’Accord de Paris sur le climat ne ferait que rajouter un épisode de plus. Le maintien de Biden pourrait conduire à un renforceme­nt du soutien militaire à l’Ukraine pour autant qu’une majorité soit acquise dans les deux Chambres et que la division du peuple américain, avec un Trump battu, ne devienne pas ingérable.

Qu’importe le choix des électeurs, le système semble avoir généré trop d’énergie tant humaine que géologique et physique. Les Américains trouveront-ils une soupape ou irontils jusqu’à l’implosion?

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