En Irlande, la démission surprise du premier ministre
Leo Varadkar, chef du gouvernement de 2017 à 2020 et depuis 2022, quitte son poste pour des raisons «personnelles et politiques». Alors que des élections législatives sont prévues d’ici un an, le Sinn Féin, ancienne aile politique de l’Armée républicaine
Une atmosphère de «fin de règne» était palpable au sein du gouvernement irlandais depuis plusieurs mois, mais la décision a quand même pris tout le monde par surprise. Leo Varadkar, premier ministre de 2017 à 2020, puis de nouveau depuis décembre 2022, a choisi de démissionner. Dans une courte allocution hier au centre de Dublin, une émotion contenue mais perceptible dans la voix, il a annoncé son départ du gouvernement, à seulement 45 ans. «Après sept ans [à la tête de mon parti], je n'ai plus l'impression d'être la meilleure personne pour ce poste.»
Il cite des raisons «personnelles et politiques»: «Les politiciens sont des êtres humains, nous avons nos limites, nous donnons tout ce que nous avons jusqu'à ce que nous n'y arrivions plus. Il est alors temps de tourner la page.» Il quitte immédiatement la tête de son parti, le Fine Gael, et reste à son poste de premier ministre jusqu'à l'élection d'un successeur, prévue le 16 avril.
Quand il a pris son poste en 2017 à 38 ans, le médecin de formation était le plus jeune premier ministre de l'histoire de l'Irlande. Ce métis (son père est d'origine indienne) est aussi devenu le premier politicien d'importance du pays à se déclarer ouvertement homosexuel, lors d'un coming out en 2015 alors qu'il était ministre de la Santé. Quelques mois après, ce pays autrefois très conservateur approuvait par référendum la légalisation du mariage gay. En 2018, alors qu'il était à la tête du gouvernement, Leo Varadkar a aussi mené avec succès la campagne pour légaliser l'avortement.
Très direct, économiquement de droite, il accumulait cependant les difficultés politiques. En 2020, lors des dernières élections législatives, il avait terminé de justesse en tête des partis en nombre de sièges, un net recul par rapport au mandat précédent: insuffisant pour former un gouvernement seul. Une coalition avec le Fianna Fail, l'autre grand parti traditionnel irlandais, a été mise sur pied, avec un arrangement inhabituel. Micheal Martin, leader du Fianna Fail, prenait le poste de premier ministre pour deux ans et demi, puis ce serait au tour de Leo Varadkar.
Un boulevard pour le Sinn Féin
Cet accord entre les deux partis, qui se succèdent sans discontinuer à la tête de l'Irlande depuis l'indépendance, il y a un siècle, a ouvert un boulevard au Sinn Féin. L'ancienne aile politique de l'Armée républicaine irlandaise (IRA), qui se normalise depuis un quart de siècle, a choisi un positionnement politique plus à gauche, et attire notamment les jeunes.
Aujourd'hui, les sondages en font le premier parti du pays, avec 28% de soutiens, contre environ 20% chacun au Fine Gael et au Fianna Fail. Si ce résultat se concrétisait, cela représenterait un tremblement de terre politique. Le Sinn Féin a longtemps été considéré comme infréquentable en République d'Irlande, à cause de son passé aux côtés d'un groupe terroriste. Il serait alors au pouvoir des deux côtés de la frontière, ayant déjà Michelle O'Neill, sa numéro deux, au poste de première ministre en Irlande du Nord.
Dans ce contexte politique difficile, l'approche des élections législatives, qui doivent se tenir au plus tard d'ici à mars 2025, nourrissait les spéculations sur l'organisation d'un possible scrutin avancé, peut-être dès cet été ou à l'automne. Michelle O'Neill a d'ailleurs immédiatement réagi à la démission de Leo Varadkar en demandant des élections: «[Il] représente treize ans d'échec, il faut qu'on ait des élections.»
Par ailleurs, le 8 mars, le premier ministre irlandais a subi une sévère défaite. Il avait proposé par référendum un dépoussiérage de la Constitution, pour supprimer plusieurs passages faisant référence au rôle des femmes comme devant être à la maison. Les changements étaient plus symboliques que réels, et la campagne a été brouillonne. Les Irlandais ont rejeté aux deux tiers la proposition. Les élections européennes et locales, prévues le 7 juin, s'annonçaient délicates pour le gouvernement.
«Il n’était pas au fond du trou politiquement»
JENNIFER BRAY, JOURNALISTE DE L’«IRISH TIMES»
«Il n'était cependant pas au fond du trou politiquement, précise Jennifer Bray, correspondante politique de l'Irish Times, un quotidien irlandais. Il a choisi de partir en pouvant encore souligner ses succès.» Leo Varadkar avait un jour promis d'arrêter la politique avant l'âge de 50 ans. S'il reste pour l'instant encore député, il semble être en chemin pour tenir parole. ■