L’offensive procédurale de la très riche famille Hinduja balayée
La défense des prévenus, accusés d’avoir été des spécialistes en matière de traite d’êtres humains et d’usure, échoue à faire imploser le dossier. Le tribunal estime que l’affaire est en état d’être jugée et qu’il lui appartient d’apprécier les preuves
Rien de rien. Ou juste des miettes. La pluie de questions préjudicielles, plaidée par la défense de la très riche famille Hinduja pour amputer l’acte d’accusation, renvoyer le dossier au premier procureur Yves Bertossa et compliquer l’histoire à l’infini, a été rejetée ce mercredi par le Tribunal correctionnel. L’offensive formelle balayée, cette affaire d’esclavage domestique pourra enfin être examinée sur le fond au mois de juin.
La lecture de la décision a pris presque autant de temps qu’un jugement. C’est dire si les reproches de la défense des cinq prévenus – le multimilliardaire Prakash Hinduja, son épouse Kamal, leur fils Ajay et sa femme ainsi qu’un homme de confiance – étaient nombreux. Mais aucun n’a vraiment trouvé grâce aux yeux des juges. Le tribunal rappelle au passage que sa tâche est d’apprécier les preuves et que tout cela sera examiné en profondeur au moment de trancher ce dossier de traite d’êtres humains et d’usure. En clair, rien ne sert de s’agiter dans tous les sens avant l’audience proprement dite.
Pas d’enquête en Inde
Dans l’ordre, le tribunal estime que l’affaire est en état d’être jugée et qu’il n’y a pas à renvoyer la procédure au parquet pour rechercher toutes les preuves possibles et imaginables. S’agissant du fameux dossier Nuix – le logiciel qui contient les messages extraits des appareils d’une plaignante –, la décision souligne que la défense n’a jamais demandé à le consulter avant septembre dernier alors que la mention de son existence figurait dans un rapport depuis 2019.
Les juges ajoutent à ce propos que les quelque 10 000 données dépeintes comme étant à décharge, en particulier 7800 images, sont très loin des 2,7 millions de fichiers brandis par les avocats pour avancer la théorie d’une consultation impossible. Les soucis informatiques temporaires ne sauraient peser dans la balance et la défense a jusqu’au mois de juin pour se plonger dans cette matière, sans besoin de mobiliser la brigade informatique. Quant au séquestre des téléphones des autres plaignants ou de l’analyse des messages postérieurs aux faits, le tribunal estime que cela ne se justifie pas, surtout au regard de la protection spéciale dont bénéficient les victimes de traite d’êtres humains.
Pour éviter l’enlisement absolu de la procédure et respecter un tant soit peu le principe de célérité, les juges rejettent aussi une demande d’entraide avec l’Inde – réputée difficile et impossible dans des délais raisonnables – visant à creuser la situation financière des plaignants. De même, l’audition de 14 autres employés, désignés comme lésés, paraît irréalisable. Pas de quoi les effacer de l’acte d’accusation, ajoute la décision. La famille Hinduja, qui ne s’est pas exprimée sur ces cas, sait ce qu’il lui est reproché et pourra toujours se faire entendre en audience.
Le seul point où la défense obtient très partiellement gain de cause concerne l’autorité de la chose jugée, principe qui ne permet pas d’être poursuivi deux fois pour les mêmes faits. En 2007, les parents Hinduja avaient été condamnés par ordonnance du juge d’instruction pour avoir employé du personnel au noir et omis de verser les cotisations sociales. Le couple, uniquement, ne sera donc pas poursuivi pour les faits qui se recoupent avec cette période et pour ces seules infractions. La traite et l’usure ne sont pas touchées, car l’affaire n’avait pas été examinée sous cet angle.
La question de la compétence des autorités genevoises avait également été soulevée, la défense contestant le for au motif que la famille était domiciliée à Monaco et pas dans sa propriété de Cologny. «La détermination du lieu de résidence est étroitement liée à l’état de fait et il est prématuré de trancher cette question», répond le tribunal.
«Source secrète»
La défense voulait aussi exclure toutes les pièces faisant référence à une procédure simplifiée qui n’a finalement pas abouti? Trop extrême, estiment les juges. Les documents détaillant aveux et arrangements ont déjà été retirés par le parquet. Le tribunal consent à supprimer encore quelques paragraphes et phrases, mais la seule mention de l’existence de cette tentative d’accord ne suffit pas à rendre un document inexploitable.
Les juges refusent aussi d’écarter la déclaration du fils d’Ajay Hinduja, 17 ans lors de la perquisition de la villa et de son audition, un adolescent que la défense présentait comme incapable de discernement et trop influençable. Sa crédibilité et les circonstances de cette déposition seront analysées au fond.
Enfin, le tribunal n’a rien trouvé à redire à la manière avec laquelle les plaignants ont été entendus lors de la procédure et rejette l’apport des dossiers administratifs susceptibles de fournir des renseignements d’ordre privé qui ne sont pas nécessaires. De même, la «source sûre» qui a renseigné la police à l’origine peut demeurer confidentielle, en vertu de la protection dont bénéficient certains informateurs. Ce, d’autant plus que cette information n’a servi qu’à nourrir la suspicion et ne constitue pas un élément décisif du dossier.
Rendez-vous en juin pour une suite qui s’annonce tout aussi animée. ■