Le Temps

En tournée en Suisse romande, François Morel décline le mot «marins»

Mardi, l’amuseur et poète a fait chanter le public d’Yverdon. Avec ce même spectacle ou d’autres, il sera ce soir au Théâtre du Jura à Delémont, et vendredi au Point Favre, à Genève. Rencontre toutes voiles dehors

- MARIE-PIERRE GENECAND Tous les marins sont des chanteurs, aujourd’hui au Théâtre du Jura, Delémont. Dictionnai­re amoureux de l’inutile, le 22 mars au Point Favre, Genève.

«Tous les marins sont des chanteurs, la, la, la, la, la, la, la, la, la». Mardi soir, le public du Théâtre Benno Besson, à Yverdon, a repris en choeur la valse-refrain du spectacle du même nom. Propositio­n feel good qui retrace en texte et en chansons la vie imaginaire d’Yves-Marie Le Guilvinec, Tous les marins sont des chanteurs fait ce que font tous les spectacles de François Morel: (re) donner aux spectateur­s le goût du pas de côté, du lien et de la légèreté.

A cet acteur pas comme les autres qui nous a tant fait pouffer dans Les Deschiens avant de nous charmer avec ses spectacles diablement humains, on a proposé un deal décalé: se décliner au fil des lettres du mot «marins». De quoi caboter pour celui qui n’a jamais cabotiné.

M comme mère (et mer)

Dans les portraits, François Morel, enfant de Normandie, parle souvent de son père. Ce «sous-chef de gare assez secret qui avait son métier, ses amis, ses blessures et qui, orphelin à 13 ans, a toujours regretté de ne pas avoir étudié», nous confiait le comédien en 2009. Mais qu’en est-il de sa mère, dont on sait juste qu’elle était dactylo? «Deux dates, déjà: 1926-2020, sa naissance et sa mort. Une traversée de siècle qui dit beaucoup de sa constance discrète», commence le poète. «Ma maman, Suzanne Vivier, de son nom de jeune fille, était une femme simple, pleine de bon sens, curieuse des autres et sociable. Elle était fière de ses trois enfants dont elle parlait souvent, mais qu’elle ne voyait pas assez, elle qui était restée en Normandie. En habitant à Paris, j’étais le plus proche de la fratrie. C’est drôle, car dans Tous les marins sont des chanteurs, la mère d’Yves-Marie lutte avec la mer qui lui vole son fils. Il y a toute une scène comique où elle se lamente pour le garder sur terre et… en vie. Notre mère n’a jamais fait ça. Elle ne nous a jamais coupé les ailes quand bien même elle aurait voulu nous avoir près d’elle. C’est assez remarquabl­e, ce soutien sans pression. Grâce à elle, on a tous pu prendre la mer à notre manière!»

A comme auteur

«Quand je pense à auteur, je pense à auteur de chroniques, activité que j’exerce depuis bientôt quinze ans sur les ondes de France Inter, tous les vendredis. C’est la forme qui me convient le mieux. J’aime cet exercice, car il rend compte de l’esprit de l’époque et permet de parler de choses graves en restant léger. Comme je joue au naïf, mon trait frappe toujours de biais. Récemment, j’ai abordé le cas difficile de Depardieu en racontant à quel point il m’avait épaté avec sa fine connaissan­ce des auteurs, dans une émission vue à la télé. Je ne nie pas le problème Depardieu, je dis juste qu’il n’est pas uniquement le monstre que l’on décrit aujourd’hui. Ai-je été parfois censuré par France Inter? Non. D’ailleurs, le staff ne lit pas mes textes avant que je les dise à l’antenne. Vive la liberté!»

R comme Raymond Devos

«Mon admiration pour cet artiste est totale. Au-delà des mots dont il usait avec esprit, Devos était un homme de musichall qui se servait de tout ce que la scène offrait. Mime, musique, jonglage, il avait une palette hors norme. J’ai déjà donné 350 fois J’ai des doutes, le spectacle dans lequel je dis ses textes, et je vais continuer, car, chaque soir, je découvre une nouvelle subtilité. Seul, je n’aurais jamais osé m’emparer de son répertoire. On m’a sollicité de l’extérieur pour lire ses textes et j’ai été saisi par le plaisir qui m’a alors envahi. Pour moi, Raymond Devos, c’est le voyage dans l’imaginaire qui donne la force de supporter la (parfois triste) réalité.»

I comme insoucianc­e et innocence

«J’ai l’air insouciant et innocent, mais je suis plus inquiet qu’il n’y paraît. En février, j’ai travaillé tous les jours – 29 jours, vraiment! – entre les trois spectacles que je tourne actuelleme­nt et un film dans lequel j’ai joué. Je ne m’arrête jamais, ça doit bien dire quelque chose de moi… Et aussi, je n’aime pas être enfermé ou me produire dans des salles en sous-sol. C’est peut-être en lien avec la fois où, jeune, j’avais rendez-vous avec Anne-Marie Miéville pour tourner dans un de ses films et que je suis resté bloqué dans son ascenseur! Comme elle est venue me parler longuement sur le palier, Jean-Luc Godard lui a apporté un châle. Je me souviens de son passage furtif, comme une ombre. Impression­nant.»

N comme nouille (et nuances)

«J’adore faire la nouille. J’ai toujours adoré faire rire mes camarades à l’école. J’étais un brin fourbe, car je leur glissais des vannes sur le prof et, comme ils pouffaient, c’était eux qui étaient punis! Mon virus de la scène a d’ailleurs commencé dans les revues scolaires de fin d’année. Avec mon style innocent, je dégommais les enseignant­s sans qu’ils puissent se fâcher. Je crois qu’on peut dire beaucoup de choses essentiell­es de manière naïve. N aussi pour «nuances». Je suis effaré de voir comment les sujets et les gens sont traités aujourd’hui. On passe de l’adoration à la détestatio­n sans considérat­ion pour la personne ou le thème crucifiés. Il me semble qu’il faut rester humble quand on met en doute quelqu’un ou quelque chose, non?»

S comme subtilité

«J’adore la subtilité, le raffinemen­t de la pensée. Pour moi, la personne qui incarne le mieux cette dispositio­n d’esprit, c’est Zouc, votre formidable comique suisse. D’un seul geste ténu, elle parvenait à transmettr­e une idée. Un exemple? Lorsque, dans un sketch sur une exposition de peinture, elle signifiait son ennui en se grattant les fesses devant un tableau. Immédiatem­ent, la salle de 400 personnes voyait ce qu’elle voulait dire et s’esclaffait. Je retrouve aussi cette concision inspirée chez l’écrivain Alexandre Vialatte, dont le regard particulie­r m’a toujours touché. Et, bien sûr, chez l’ami Brassens qui n’a jamais vieilli en restant toujours fidèle à son style immuable. Une pointure. Question de pédophilie, il faut d’ailleurs réécouter La Princesse et le croque-notes. Dans ce titre, Brassens chante qu’il est allumé par une jeune fille de 13 ans, mais qu’il refuse d’y aller. Impeccable.» ■

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