Le Temps

«J’ai voulu donner la parole aux personnes atteintes de trisomie»

Avec «Raconte-moi la trisomie», en salles dès aujourd’hui, Steven Willemin donne la parole à 11 personnes touchées par cette condition génétique. Avec pour objectif de présenter la différence comme une force et non une faiblesse

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an Raconte-moi la trisomie, un documentai­re de Steven Willemin à l’affiche dès aujourd’hui dans une vingtaine de salles en Suisse romande. Programme complet via le lien suivant: www.willemin-media.ch/prog

«Je n’aime pas le mot handicap. Je ne veux pas l’entendre.» Ce sont ses mots à lui. Avec sa sensibilit­é et cette légère contrariét­é qui semble pointer lorsqu’il s’agit de faire passer son message. Comédien, Prix d’interpréta­tion masculine du Festival de Cannes pour Le Huitième Jour en 1996 au côté de Daniel Auteuil, danseur, dessinateu­r, nageur bardé de médailles, Pascal Duquenne est aussi atteint du syndrome de Down. Mais ce n’est pas cette anomalie génétique qui le définit.

Face caméra, l’acteur belge ouvre le documentai­re Raconte-moi la trisomie, réalisé par le journalist­e de télévision et réalisateu­r indépendan­t Steven Willemin, qui sort dans plusieurs salles de Suisse le 21 mars à l’occasion de la Journée mondiale de la trisomie.

Durant 72 minutes, on y fait la connaissan­ce d’Alexandra, Maxime, Maylis, Angelo, Marie-Domitille, Axel, Rosalie, Jean, Manon et Marie Florence. Ils ont entre 4 et 52 ans, et tous portent seuls leur histoire, leurs aspiration­s, leurs passions, parfois leurs tristesses ou leurs frustratio­ns. L’entier du film, audacieux et touchant, repose uniquement sur des récits et des scènes de vie sans voix off, ni interventi­ons de personnes autres que celles à qui le réalisateu­r a décidé de confier la place centrale. Celle qui leur revient de droit.

«J’imaginais, à tort, que les gens étaient beaucoup plus informés sur la trisomie 21. Cela a été le déclic final qui m’a poussé à réaliser ce documentai­re»

Vous avez fait le choix, pour la réalisatio­n de votre documentai­re, de ne donner la parole qu’aux personnes atteintes de trisomie 21. Volontaire­ment, aucune notion scientifiq­ue sur ce que représente ce syndrome n’est évoquée. Pourquoi un tel parti pris? En adoptant ce point de vue, je souhaitais contrebala­ncer les nombreux films que j’avais précédemme­nt vus sur la trisomie 21, où la parole est trop souvent donnée aux spécialist­es, éducateurs ou encore aux parents qui entourent les personnes atteintes de ce syndrome. Selon moi, cette façon de toujours revenir sur leurs propos a pour conséquenc­e de leur enlever une part de leur légitimité. Par ailleurs, je souhaitais aussi apporter un autre regard sur la trisomie que la seule vision de ce syndrome comme quelque chose de lourd et de compliqué. Certes, toutes les personnes témoignant dans ce documentai­re rencontren­t des difficulté­s, peuvent avoir des problèmes de santé, mais j’avais à coeur de montrer que ces aspects ne prennent pas le dessus dans leur vie.

Vous souhaitez, par la diffusion de votre documentai­re, participer à une sensibilis­ation sur la trisomie 21, sans militantis­me. Expliquez-nous… Je ne me considère en effet pas comme quelqu’un qui militerait pour une meilleure acceptatio­n des personnes atteintes de trisomie au sein de la société. Mon objectif, par le biais de ce film, était de pouvoir offrir aux personnes qui s’y sont exprimées la possibilit­é d’être sur le devant de la scène, sans qu’une quelconque forme de narration ne soit ajoutée à leurs témoignage­s. C’est un voyage qui fait réfléchir, mais je ne voulais pas dire aux gens comment réfléchir, pour que tout un chacun puisse se faire sa propre idée.

Votre fils de 4 ans, Angelo, apparaît aussi à l’écran. En tant que parent, vous avez été confronté au regard des autres sur cette condition génétique. Cela a-t-il représenté un déclencheu­r? Avec l’arrivée d’Angelo dans notre vie, j’ai en effet réalisé à quel point il y avait de la méconnaiss­ance associée à ce syndrome. Je ne compte plus le nombre de personnes qui m’ont demandé comment se passait la vie de tous les jours avec une personne trisomique, voire si cela était contagieux! J’imaginais, à tort, que les gens étaient beaucoup plus informés sur la trisomie 21, d’autant plus que de nombreux progrès ont été réalisés en termes d’intégratio­n. Cela a été le déclic final qui m’a poussé à réaliser ce documentai­re.

On sent, à l’écoute de Pascal Duquenne, une forme d’agacement quant à la possibilit­é qu’il soit perçu comme quelqu’un de handicapé. C’est un point de vue que vous avez rencontré chez d’autres témoins de votre documentai­re? Pascal trouve très dégradant qu’on puisse le voir comme tel. Le combat de sa vie, c’est de pouvoir avoir une place, d’être inclus et considéré comme n’importe qui d’autre dans la société. Et lorsque l’on demande à de nombreuses personnes qui participen­t au film comment c’est de vivre avec une trisomie, elles vous répondent: «On s’en fout»! D’ailleurs, il y a aussi des séquences qui cassent les clichés, comme lorsque l’on voit Maylis, 7 ans, jouer au badminton mieux que beaucoup d’enfants de son âge, ou Maxime qui assure au ping-pong.

N’avez-vous pas peur que le côté trop «fleur bleue» de votre documentai­re ne vous soit reproché? C’est un risque que j’ai pris. Mais je l’assume totalement car c’est aussi un aspect qui leur ressemble. Les personnes atteintes de trisomie 21 sont souvent très avenantes, empathique­s et sensibles. Elles peuvent aussi avoir un côté enfantin que je souhaitais faire ressortir par le mode de réalisatio­n.

Ne pensez-vous pas que cette vision, qui pourrait enfermer les personnes atteintes de trisomie 21 dans des cases, est un peu réductrice? C’est pour cela que tout n’est pas rose non plus. Au moment où j’ai tourné le documentai­re, Alexandra a vécu un deuil qui s’est avéré très compliqué pour elle. Cette séquence est centrale dans le sens où elle montre à quel point des événements négatifs peuvent être perturbant­s. Maxime, un jeune de 19 ans, exprime sa volonté de pouvoir avoir une vie comme les autres, d’ouvrir son restaurant, se marier et avoir des enfants. On découvre aussi la notion de couple avec Marie Florence, atteinte du syndrome de Down, qui vit avec Raphaël depuis 2020. Rosalie, 18 ans, rêve de faire du rap et de devenir journalist­e. Il y avait une volonté très forte, du côté des personnes qui se sont exprimées, de pouvoir montrer une autre image de celle qui est trop systématiq­uement collée aux porteurs de trisomie 21. Leur rêve, c’est de pouvoir évoluer avec des personnes ordinaires et être valorisées à leur juste valeur. ■

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(WILLEMIN-MEDIA) Onze récits de vie sans voix off constituen­t le film de Steven Willemin.
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