L’inébranlable audace de la Banque nationale suisse
En 2017, Martine et Jean-Paul Clozel cédaient pour 30 milliards de francs leur société Actelion à Johnson & Johnson. Née de cette vente, leur nouvelle société bat sérieusement de l’aile depuis quelques mois mais vient d’obtenir un feu vert aux Etats-Unis
Il faut revenir en 2012 pour mesurer le chemin accompli par Thomas Jordan. Le Biennois d’origine se retrouvait propulsé à la tête de la Banque nationale suisse (BNS) par la démission forcée du flamboyant Philipp Hildebrand.
Si l’économiste n’a pas forcément le charisme de son prédécesseur, il a rapidement manifesté son sens du timing monétaire. Le 15 janvier 2015, il prend les marchés financiers de court en supprimant le taux plancher de 1,20 franc pour 1 euro, introduit quatre ans plus tôt. Le banquier central remet ça en juin 2022, brûlant la politesse à la Banque centrale européenne. La BNS amorce un resserrement monétaire qui permettra à la Suisse de quitter quelques mois plus tard l’inconfortable territoire des taux d’intérêt négatifs dans lequel elle croupissait depuis près de huit ans.
La voilà aujourd’hui qui remet cela, au nez et à la barbe des oracles financiers qui, tous, misaient sur un statu quo avant un assouplissement de la politique monétaire envisagé en juin. Que nenni! Une fois de plus, Thomas Jordan a saisi la balle au bond, en abaissant aujourd’hui, contre toute attente, le taux d’intérêt de la BNS de 1,75% à 1,5%.
Sur le papier, pourtant, tout était là. Bien sûr, la conjoncture helvétique n’est pas étincelante avec une évolution du PIB mesurée à 1,3% en 2023, et attendue à 1,1% en 2024. La santé de l’économie suisse reste toutefois bien au-dessus de la mêlée européenne. Les répercussions de la hausse des taux sur l’emploi sont, elles, limitées en raison du départ à la retraite d’une énorme cohorte de baby-boomers. Cerise sur le gâteau pour la BNS, le rebond de l’inflation attendu en début d’année n’a pas eu lieu. N’en jetez plus! La voie était libre.
Une brèche providentielle dans laquelle le triumvirat monétaire ne s’est pas privé de s’engouffrer, nous signalant ainsi au passage que la lutte contre la hausse des prix n’est plus sa priorité.
En prenant la tête du mouvement de baisse des taux attendu cette année en Europe et aux Etats-Unis, la BNS replace – intentionnellement ou non – le curseur sur la stabilité du franc, offrant un probable bol d’oxygène aux entreprises exportatrices du pays.
Le bilan de Thomas Jordan, qui quittera l’institution cet automne, reste à peaufiner. La politique d’investissement de la BNS, qui a vu son bilan exploser ces dix dernières années, est régulièrement
La BNS replace le curseur sur la stabilité du franc
pointée du doigt pour son empreinte carbone. Il aurait aussi été de bon ton de voir le président de la BNS intervenir publiquement durant la semaine qui a précédé l’effondrement de Credit Suisse. Sans oublier que l’homme a peut-être, probablement, régné sans partage. Sur le plan monétaire, il entrera sans conteste dans l’histoire économique suisse comme un redoutable et rusé banquier central. Il s’agit désormais de lui trouver un successeur à la hauteur pour continuer à offrir des conditions-cadres favorables à la Suisse.
Il y a sept ans, Martine et Jean-Paul Clozel signaient un des succès les plus retentissants de la pharma suisse en vendant Actelion pour 30 milliards de francs à l’américain Johnson & Johnson. Mais Idorsia, leur nouveau projet entrepreneurial né à la suite de cette vente, n’est pas parvenu à répliquer ce succès. Depuis plusieurs mois, la biotech connaît de grandes difficultés.
Quasiment à court de trésorerie en juin dernier, Idorsia a dû se résoudre à supprimer 475 postes à son siège d’Allschwil (BL), dont 300 licenciements. Mais ces dernières semaines, Idorsia a procédé à plusieurs annonces positives. La dernière en date: l’approbation mercredi par la Food and Drug Administration (FDA), l’autorité américaine de régulation des médicaments, d’un nouveau traitement, le Tryvio.
Un lancement à financer
Destiné à traiter l’hypertension artérielle en combinaison avec d’autres médicaments, il s’agit du premier traitement oral approuvé par la FDA utilisant une nouvelle approche thérapeutique en presque quarante ans, affirme Idorsia dans son communiqué. Selon les chiffres des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, la principale agence fédérale des Etats-Unis en matière de protection de la santé publique, presque un adulte sur deux (119,9 millions) souffre d’hypertension.
La commercialisation de ce nouveau traitement est prévue pour la deuxième moitié de l’année, indique Idorsia, qui se montre prudente. La mise sur le marché d’un traitement demande un investissement conséquent pour assurer sa promotion, et les finances d’Idorsia sont toujours fragiles.
La situation de la société est d’autant plus instable que ses revenus reposent essentiellement sur un autre traitement qui peine à s’imposer. Autorisé à la vente en 2022 aux Etats-Unis et dans l’Union européenne (en juin 2023 en Suisse), le Quviviq, un médicament contre les insomnies, a rapporté 15 millions de francs sur les neuf premiers mois de l’année 2023. Bien qu’il soit innovant, il évolue sur un marché où de nombreux traitements existent, dont des génériques vendus à des prix plus accessibles.
«Nous estimons que la société n’a pas les moyens de financer deux lancements. Même payer un seul pourrait s’avérer difficile. Si une commercialisation n’est pas entièrement soutenue financièrement, il y a un risque qu’elle ne fonctionne pas comme prévu», souligne Stefan Schneider, analyste pour Vontobel. La banque a suspendu la notation d’Idorsia faute de visibilité sur sa stratégie. «Selon nous, Tryvio est davantage le type de produit que la direction d’Idorsia a l’habitude de vendre, par rapport à Quviviq, ajoute-t-il. C’est un produit pour les spécialistes – et non les généralistes – et il appartient à la classe de médicaments à laquelle appartenaient les produits d’Actelion. Mais les ventes ne commenceront qu’au deuxième semestre et, d’ici là, de nombreux obstacles financiers devront être franchis.»
L’état précis des finances de la biotech est difficile à évaluer. Idorsia a repoussé la publication de ses résultats annuels au 25 avril. Fin septembre, elle indiquait disposer d’une trésorerie de 255 millions de francs, contre 33 millions fin juin. Sur les neuf premiers mois, elle a enregistré un chiffre d’affaires de 131 millions, contre 43 en comparaison à 2022, ainsi qu’une perte nette de 181 millions alors qu’elle était de 635 millions sur la même période l’année précédente.
Deux candidats médicaments en phase III
Les dernières annonces de la société ont été précédées de mouvements haussiers suspects
Fin février, Idorsia a aussi annoncé une collaboration avec la société pharmaceutique américaine Viatris pour le développement de deux candidats médicaments devant être testés en phase III d’essai clinique (dernière étape du développement d’un médicament), qui implique notamment un transfert de personnel. Le laboratoire américain a versé un paiement initial de 350 millions de dollars à Idorsia, et des paiements d’étape sont prévus. Mais la biotech rhénane devra contribuer jusqu’à hauteur de 200 millions de dollars aux frais de développement des deux traitements pendant trois ans. Plus de détails seront communiqués le mois prochain.
Une ombre pourrait également se glisser au tableau. Comme l’a relevé L’Agefi, les dernières annonces d’Idorsia, dont l’approbation de la FDA et l’accord avec Viatris, ont été précédées de mouvements haussiers suspects quelques jours avant leur officialisation, de quoi soulever des soupçons de délit d’initié. Contactée par Le Temps, la société n’a pas commenté, tout comme SIX Exchange Regulation. La Finma, quant à elle, «ne s’exprime pas sur des cas concrets ni sur ses éventuelles enquêtes ou procédures». ■