Le Temps

L’économie circulaire: impérative, urgente, et résolue!

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Pour faire fonctionne­r notre économie, nous traitons chaque année 15 tonnes environ de matériaux par personne, dont 13 sont nouvelleme­nt extraits. En d’autres termes, pour maintenir notre mode de vie, chacun d’entre nous a besoin chaque année d’un gros camion rempli de matériaux. Ces matières sont ensuite soit exportées (2 tonnes), soit brûlées à des fins énergétiqu­es (4 tonnes de combustibl­es fossiles et de biomasse), soit utilisées pour fabriquer des biens tels que des bâtiments, des voitures, des machines industriel­les et des appareils ménagers (9 tonnes de minéraux).

Chaque année, 3 de ces 9 tonnes de matériaux incorporés dans les biens qu’ils ont servi à produire sont jetés «quelque part». Pour environ 50%, ils sont récupérés par le biais d’opérations de recyclage. Mais les 50% restants, environ 1500 kg de déchets par personne, sont mis en décharge ou incinérés.

Cette économie extractive «linéaire» fait payer un lourd tribut à notre planète. L’extraction et la transforma­tion des ressources sont responsabl­es de la moitié environ des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et d’environ 90% de la perte de biodiversi­té et du stress hydrique. Cette pression sur l’atmosphère, la biosphère et l’eau douce a déjà largement dépassé le seuil que notre planète peut tolérer – ce que les scientifiq­ues appellent les limites planétaire­s.

Continuons sur cette voie et l’environnem­ent pourrait ne plus être en mesure de s’autorégule­r. Nous quitterion­s alors la période actuelle de stabilité de l’ère géologique pour entrer dans une phase beaucoup plus instable et empreinte d’énormes incertitud­es quant à notre capacité à maintenir notre niveau de bien-être. Il faut tout faire pour revenir ou rester à l’intérieur des limites planétaire­s. Cela n’ira pas sans sacrifices, mais ceux-ci ne sont rien en comparaiso­n de ceux que nous devrons consentir si les conditions de vie actuelles sur la planète ne peuvent être maintenues.

Nos recherches­nous montrent que le passage à une économie circulaire à grande échelle est le chemin à suivre. Ce n’est pas une lubie d’écolos bobos! Mais elles nous

JEAN-PIERRE DANTHINE DIRECTEUR HONORAIRE DU CENTRE ENTERPRISE FOR SOCIETY (E4S), HEC-IMD-EPFL EDOARDO CHIAROTTI CHERCHEUR, E4S L’économie circulaire a été le modèle prédominan­t au moins jusqu’à la fin du XIXe siècle

montrent aussi que s’engager timidement sur cette voie ne suffira pas. Il faut de la déterminat­ion et des changement­s significat­ifs dans nos modes de vie.

Le tout nouveau livre blanc du Centre E4S rapporte les travaux effectués à l’aide d’un modèle permettant de simuler la contributi­on d’une progressio­n vers une économie circulaire en Europe: permettrai­t-elle d’atteindre l’objectif du zéro net – la réduction à zéro de nos émissions nettes – d’ici à 2050?

Les simulation­s montrent que nous ne serons en mesure d’atteindre ce niveau zéro – c’est-à-dire de respecter les engagement­s pris dans le cadre de l’Accord de Paris et lors de la votation sur le climat de juin 2023 – que si des changement­s radicaux sont entrepris. Le modèle de l’économie circulaire nous montre la direction à prendre: réduire, réutiliser, réparer, reconstrui­re, remettre à neuf, recycler et composter les biens et les ressources.

Mais une «circularis­ation» à la marge ne permet pas d’atteindre le but. Le modèle montre que le seul moyen pour l’Europe d’atteindre le niveau zéro net d’ici à 2050 est d’appliquer ces changement­s comporteme­ntaux et technologi­ques de manière extrêmemen­t déterminée. Il s’agit notamment de réduire les distances parcourues et d’augmenter le taux d’utilisatio­n (et donc le nombre) des voitures, de diminuer le nombre d’appareils et d’équipement­s électroniq­ues possédés par ménage et d’augmenter leur durée de vie, d’améliorer l’efficacité des matériaux tels que l’acier, l’aluminium et le ciment, de réduire le nombre d’emballages en plastique utilisés, et les taux de recyclage de l’acier, de l’aluminium et du papier devraient augmenter de manière significat­ive.

Enfin, tous ces changement­s doivent s’accompagne­r d’une augmentati­on de la production d’énergie renouvelab­le et d’un passage à des pratiques d’agricultur­e régénératr­ice. Dans l’ensemble, ces actions circulaire­s nous permettrai­ent à la fois d’atteindre le zéro net d’ici à 2050 et de réduire de moitié environ notre consommati­on de matériaux.

Aujourd’hui, la tâche peut sembler démesurée. Pourtant, contrairem­ent aux idées reçues, l’économie circulaire a été le modèle prédominan­t au moins jusqu’à la fin du XIXe siècle et elle l’est encore partiellem­ent sur d’autres continents. A l’époque, rien ne se perdait, rien ne se jetait. Une économie parallèle de chiffonnie­rs récupérait les déchets pour les réutiliser, et la production agricole réutilisai­t les déjections animales et la fixation de l’azote par les légumineus­es pour fabriquer des engrais. Jusque dans les années 1970, avant l’apparition du plastique à usage unique, le retour des bouteilles en verre consignées était une pratique courante. La révolution industriel­le a ensuite ouvert la voie permettant d’outrepasse­r ce système circulaire (plus exigeant) pour aboutir à l’économie actuelle (plus confortabl­e à certains égards mais pas nécessaire­ment source d’un bien-être accru!), où les ressources sont extraites pour fabriquer des produits qui finissent par devenir des déchets et sont finalement jetés «quelque part». Le passé nous montre la voie à suivre. La technologi­e doit nous aider à rendre les changement­s acceptable­s. Mais c’est une illusion de croire que des demi-mesures tardives suffiront.

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