Le Temps

Mieux armer l’Ukraine, mais comment? Le dilemme de l’UE

Au sommet de Bruxelles, les dirigeants des Vingt-Sept affirment vouloir accélérer le soutien à Kiev. Mais ils divergent sur les moyens d’y parvenir

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, BRUXELLES X @vdegraffen­ried

A leur arrivée au sommet européen qui a démarré jeudi à Bruxelles, les dirigeants des Vingt-Sept se sont, comme à leur habitude, répandus en déclaratio­ns fortes devant les micros tendus. «Pour garantir la paix, nous devons fortifier notre capacité de défense», a insisté le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez. Pour Olaf Scholz, le chancelier allemand, l’Europe doit non seulement produire davantage d’armes mais également en acheter hors du continent pour les livrer à l’Ukraine, comme le propose le président tchèque, Petr Pavel. «L’Estonie vient de débloquer une nouvelle aide militaire de 20 millions d’euros pour Kiev», a de son côté annoncé la première ministre estonienne, Kaja Kallas. Et d’assurer que si «chaque pays consacrait au minimum 0,25% de son PIB à l’aide à l’Ukraine, la Russie pourrait être vaincue».

Des mesures «radicales et concrètes»

Le menu du sommet qui se termine ce vendredi est costaud. A l’ordre du jour figurent le thème de l’élargissem­ent de l’UE et l’ouverture des négociatio­ns d’adhésion avec la Bosnie-Herzégovin­e, les questions migratoire­s et agricoles ou encore la situation à Gaza. Mais une nouvelle fois, l’Ukraine mobilise toutes les attentions, avec la question de la livraison d’armes et la nécessité pour l’UE d’accroître ses capacités de dissuasion face à la Russie.

Charles Michel, le président du Conseil européen, a été très clair dans son invitation aux dirigeants: dans sa lettre, il appelle à des mesures «radicales et concrètes» pour mettre l’économie de l’UE «sur un pied de guerre». «L’urgence, l’intensité et une déterminat­ion sans faille sont impérative­s», précise-t-il. Dans une tribune publiée cette semaine dans plusieurs médias européens, il affirmait: «Si nous voulons la paix, il faut nous préparer à la guerre.» Et: «La Russie ne s’arrêtera pas en Ukraine; nous devons passer en mode économie de guerre.»

La nouvelle stratégie de l’industrie européenne de la défense, présentée récemment par le commissair­e européen Thierry Breton, est un point de discussion. L’idée est notamment d’augmenter la capacité annuelle de production européenne de munitions à 2 millions en 2025, contre 500 000 avant l’invasion russe de l’Ukraine.

Pour Kaja Kallas, le problème pour stimuler l’industrie de la défense européenne se situe clairement au niveau du financemen­t. Elle a lancé l’idée d’émettre des euro-obligation­s pour un total de 100 milliards pour accroître les capacités de défense de l’UE. Une perspectiv­e controvers­ée qui suscite notamment l’opposition de pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède, hostiles à toute émission d’une dette commune.

Quatorze pays, dont l’Allemagne et la France, ont en revanche écrit à la Banque européenne d’investisse­ment (BEI) pour exiger qu’elle puisse financer des investisse­ments dans les équipement­s militaires, ce qui n’est pas le cas actuelleme­nt.

Le débat autour des avoirs russes gelés depuis le début de l’invasion de l’Ukraine est également un point central du sommet. Les dirigeants discutent du plan de la Commission européenne dévoilé mercredi, celui d’affecter 90% des profits générés par ces avoirs à l’achat d’armes pour l’Ukraine et non à la seule «reconstruc­tion» du pays.

La neutralité comme obstacle

«L’urgence, l’intensité et une déterminat­ion sans faille sont impérative­s» CHARLES MICHEL, PRÉSIDENT DU CONSEIL EUROPÉEN

Un changement de paradigme important. Mais qui suscite des opposition­s. La Hongrie, par exemple, juge que la livraison d’armes supplément­aires à Kiev ne fera que provoquer une escalade militaire et prolongera la guerre. D’autres pays, comme Malte, l’Autriche ou l’Irlande, se montrent réticents pour des questions de neutralité. «Nous devons nous assurer que l’argent pour lequel nous donnons un accord ne soit pas utilisé pour acheter des armes», a insisté le chancelier autrichien, Karl Nehammer, à son arrivée à Bruxelles.

Or, pour Kiev, le temps presse. Une enveloppe de 60 milliards de dollars d’aide pour l’Ukraine est toujours bloquée au Congrès américain et les arsenaux européens se vident. L’UE et les Etats membres ont déjà consacré au total plus de 138 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine, mais les besoins en munitions de Kiev restent criants, alors que la Russie peut notamment compter sur des obus fournis par la Corée du Nord.

Jeudi, pendant que les dirigeants européens se réunissaie­nt à Bruxelles, Volodymyr Zelensky lançait un nouvel appel. Le président ukrainien exhortait les Occidentau­x à plus de «volonté politique» pour aider son pays, alors que l’Ukraine venait d’abattre à l’aube 31 missiles russes qui visaient Kiev. Il réclame surtout des systèmes de défense antiaérien­ne.

«Nous avons la responsabi­lité collective d’accélérer et d’intensifie­r nos efforts pour fournir l’équipement dont l’Ukraine a besoin», a relevé dans l’après-midi, devant la presse, Roberta Metsola, la présidente du Parlement européen, en estimant également nécessaire de renforcer les sanctions contre Moscou. Et d’insister sur la nécessité d’enfin «passer de la rhétorique à l’action».

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