Le Temps

Ce traité de libre-échange qui ne passe plus

La crise agricole et son ambiance protection­niste ont fait basculer le débat sur un accord entre l’UE et le Canada, rejeté hier par le Sénat

- PAUL ACKERMANN, PARIS X @paulac

Voilà quatre lettres qui mettent Emmanuel Macron et les siens en bien mauvaise posture: CETA (pour Comprehens­ive Economic and Trade Agreement). Le Sénat français a rejeté ce jeudi dans une ambiance tendue la ratificati­on de ce traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Ce résultat n’implique pas nécessaire­ment qu’il faille enterrer l’accord, le texte doit repasser par l’Assemblée nationale et le gouverneme­nt peut aussi tout simplement ne pas notifier la décision de son parlement à l’UE, comme l’a fait Chypre. Mais si un rejet devait être notifié au bout du compte, l’accord deviendrai­t théoriquem­ent caduc, et ce, pour tous les pays européens.

Deux traités dans le même sac

Le CETA est appliqué provisoire­ment depuis 2017 à l’échelle européenne. Il n’avait cependant jamais été ratifié jusqu’au bout par la France. Les sénateurs communiste­s ont réussi à accélérer la dernière étape de ce processus en forçant la consultati­on par la Chambre haute du projet de loi autorisant le gouverneme­nt français à ratifier le texte.

Une alliance entre toutes les gauches mais aussi l’extrême droite et surtout la droite traditionn­elle des Républicai­ns, encore puissante au Sénat, a donc eu raison du court consensus qui avait fait passer le texte à l’Assemblée nationale.

Le contretemp­s tombe particuliè­rement mal du point de vue de la politique intérieure. Ce débat arrive en pleine campagne pour les élections européenne­s de juin, en vue desquelles le camp présidenti­el est très mal parti dans les sondages, face à un Rassemblem­ent national dominateur avec sa ligne souveraini­ste et protection­niste. Un contexte rendu d’autant plus explosif que la colère des agriculteu­rs qui a marqué le début d’année s’était, entre autres, focalisée sur les traités de libre-échange, notamment l’accord commercial avec les géants latino-américains du Mercosur.

Le gouverneme­nt français fait tout pour différenci­er ces deux accords. Le canadien d’un côté, qui serait bénéfique pour les viticulteu­rs, les producteur­s de fromage mais aussi d’autres grandes entreprise­s françaises. Et le sud-américain de l’autre, contre lequel Emmanuel Macron s’est soudain positionné en opposant radical pendant la crise agricole, l’accusant de désavantag­er les paysans français.

Problème: c’est sur les deux accords que les agriculteu­rs se sentent menacés. Le CETA supprime la plupart des droits de douane. Les éleveurs français estiment qu’il favorise lui aussi des importatio­ns de viande produite à bas coût, avec bien moins de contrainte­s écologique­s et sanitaires. Franck Riester, ministre délégué au Commerce extérieur, très actif dans les médias ces derniers jours pour dénoncer «l’instrument­alisation électorali­ste» de ce vote, argumente quant à lui que des «mesures miroirs» prévoient d’empêcher la «concurrenc­e déloyale», notamment en rendant impossible l’importatio­n sur le marché européen du très discuté «boeuf aux hormones». Des arguments qui ne semblent pas avoir convaincu certains partis lorgnant les voix des agriculteu­rs qui se sont tous alliés à la gauche radicale et au RN, opposés de longue date à ces traités de libre-échange européens.

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