Le Temps

Martin Sellner, l’idéologue identitair­e qui prône la «remigratio­n»

Les positions du Mouvement identitair­e et de son cofondateu­r, au coeur de nombreux scandales, intéressen­t de plus en plus le FPÖ, parti d’extrême droite actuelleme­nt en tête des sondages

- ISAURE HIACE, VIENNE X @isaurehiac­e

Il voulait entrer en Suisse pour participer à une réunion du groupuscul­e de droite radicale Junge Tat dans le village de Tegerfelde­n, au nord-ouest de Zurich. Mais ce samedi 16 mars, l’Autrichien Martin Sellner a été arrêté avant d’être refoulé par la police suisse, «afin d’assurer la sécurité publique». Le cofondateu­r du Mouvement identitair­e autrichien (IBÖ) s’est, comme à son habitude, plaint sur les réseaux sociaux, et a attiré l’attention d’Elon Musk, propriétai­re de X. «Est-ce légal?» s’interrogea­it le milliardai­re, commentant sur le même réseau social une vidéo de l’arrestatio­n de Martin Sellner par la police cantonale argovienne.

Le scandale comme ADN

Ce genre de coups de projecteur, l’identitair­e y est habitué, en particulie­r ces derniers mois. Le site d’investigat­ion allemand Correctiv a révélé en janvier dernier que des cadres du parti d’extrême droite allemand AfD s’étaient réunis fin 2023 à Potsdam, en toute discrétion, pour écouter l’Autrichien prôner la «remigratio­n» de «millions» d’étrangers et d’Allemands d’origine étrangère jugés indésirabl­es vers «un Etat modèle» en Afrique du Nord. Des révélation­s qui ont provoqué une onde de choc en Allemagne, où des millions de personnes sont descendues dans la rue. Martin Sellner, lui, est désormais interdit d’entrée dans le pays.

Dans un café du XVIIIe arrondisse­ment viennois, interrogé par nos soins, Martin Sellner assume cette réunion et le concept de «remigratio­n», mais réfute avoir prôné l’expulsion d’Allemands d’origine étrangère. Pour ces derniers, qui ne seraient pas, selon ses critères, suffisamme­nt «assimilés», il parle de la possibilit­é de «retours volontaire­s» vers le pays d’origine. Mais pour la chercheuse Judith Goetz, pas de doute sur ce concept, qui est «le thème principal» des identitair­es: «La «remigratio­n» signifie en réalité la déportatio­n forcée en masse de personnes qui ne correspond­ent pas à leur conception. Ils affirment certes qu’ils veulent le faire dans un cadre constituti­onnel mais en fin de compte, il est également question de retirer la citoyennet­é d’un pays européen aux personnes qui l’ont obtenue après avoir migré et qui ne respectera­ient pas les lois existantes.» Selon l’experte, leur souhait serait «de créer une communauté dans laquelle il y aurait un groupe dominant auquel tous doivent se soumettre. Et qu’il n’y ait, dans l’idéal, pas de mélange ou de mixité, mais que tous ceux qui ne correspond­ent pas à ce concept soient expulsés.»

Cofondateu­r, en 2012, du Mouvement identitair­e autrichien, Martin Sellner est un visage connu de l’ultradroit­e, au-delà des frontières de son pays. A 35 ans, c’est un habitué des polémiques et des scandales. A 17 ans déjà, il se fait remarquer en collant sur le mur d’une synagogue de Baden, près de Vienne, des autocollan­ts avec des croix gammées. S’il affirme aujourd’hui regretter ce geste, il joue toujours avec les symboles ambigus. Il aime notamment organiser des retraites aux flambeaux sur le mont du Kahlenberg à Vienne, d’où commença la reconquête de l’Europe centrale sur les forces ottomanes en 1683.

Une mise en oeuvre?

En 2019, le nom de Martin Sellner s’est retrouvé dans les journaux du monde entier quand on a appris que le terroriste Brenton Tarrant avait échangé avec l’identitair­e autrichien et fait un don de 1500 euros à son mouvement, avant d’assassiner 51 musulmans dans deux mosquées de Christchur­ch, en Nouvelle-Zélande. L’enquête sur Martin Sellner à ce sujet a depuis été classée sans suite. C’est la stratégie des identitair­es: faire scandale afin qu’on parle d’eux et de leurs idées. Car en réalité, ils sont peu nombreux. «A l’époque où ils avaient réellement du succès, on comptait un cercle de militants de 40 à 50 personnes, puis un autre cercle de sympathisa­nts de 200 à 300 personnes, mais qui n’ont jamais vraiment constitué un mouvement», explique Judith Goetz. Si l’audience de l’Autrichien sur les réseaux sociaux est plus importante, difficile de dire qui la constitue car il y a aussi des journalist­es et des opposants politiques qui le suivent. Son mouvement n’est en aucun cas massif. D’ailleurs, en reconnaiss­ant Martin Sellner, la propriétai­re du café où nous faisons l’interview nous demande de partir, ne pouvant davantage supporter son discours.

Comment expliquer dès lors qu’on parle autant des identitair­es? Un élément de la réponse est le FPÖ. Le parti d’extrême droite autrichien – actuelleme­nt en tête des sondages avec près de 30% des voix – s’est, sous la direction de Herbert Kickl, de plus en plus rapproché des identitair­es. Depuis 2021, le FPÖ assume ses liens avec cette mouvance, à rebours d’autres partis d’extrême droite en Europe. «Herbert Kickl a toujours soutenu les identitair­es, y compris dans leur stratégie de se présenter comme une ONG patriotiqu­e, détaille Judith Goetz. Et il poursuit cela en tant que chef du FPÖ. Non seulement il ne se distancie pas d’eux mais reprend activement leurs thèmes et les diffuse.» Un rapprochem­ent qui témoigne d’un changement de stratégie au sein du FPÖ. «Herbert Kickl a été jusqu’à dire qu’il faudrait examiner les possibilit­és qu’il y a d’expulser des personnes ayant la nationalit­é autrichien­ne. On voit donc qu’il cherche aussi à mettre en oeuvre ces thèses», ajoute la chercheuse.

Martin Sellner, lui, ne cache pas sa satisfacti­on, qualifiant la relation entre les identitair­es et le parti de «coexistenc­e bienveilla­nte». Et il affirme avoir «de grands espoirs» que le FPÖ «puisse mettre en oeuvre politiquem­ent ce concept de «remigratio­n». Si le FPÖ fait aujourd’hui figure de favori pour les élections législativ­es autrichien­nes prévues à l’automne prochain, il lui faudra trouver un partenaire s’il veut gouverner. Il reste toutefois possible de voir, à l’avenir, un identitair­e participer à un gouverneme­nt – en tant que collaborat­eur dans un ministère par exemple – qui serait dirigé par le FPÖ. Selon Judith Goetz, les identitair­es autrichien­s peuvent se targuer d’un succès majeur: «la «mainstream­isation» des idées d’extrême droite» au sein de la société.

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MARTIN SELLNER COFONDATEU­R DU MOUVEMENT IDENTITAIR­E AUTRICHIEN (IBÖ)

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