«On est passé d’un fédéralisme collaboratif à un fédéralisme compétitif»
Les records d’excédents budgétaires dans les cantons de Genève et Zoug reposent les questions de la péréquation optimale et de la répartition des fonds entre cantons et Confédération. Pour l’économiste tessinois Sergio Rossi, si cet argent est bien investi, il peut renforcer la cohésion nationale
Les règles du jeu sont-elles toujours les bonnes? Les sept seuls cantons contributeurs à la péréquation financière, à savoir Genève, Zoug, Zurich, Schwytz, Nidwald, Obwald et Bâle-Ville voient leurs recettes fiscales augmenter pour arriver à une redistribution de 5,9 milliards en 2024. Selon le professeur de l’Université de Fribourg Sergio Rossi, directeur de la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, la disparité entre cantons riches et pauvres devrait être compensée par un fonds plus important de la Confédération.
Avec les récentes annonces d’excédents budgétaires de Genève et Zoug, on est frappé par l’augmentation des disparités entre les cantons. Le système de péréquation financière est-il optimal? Il est déjà pas mal. La Suisse est une Willensnation, un pays dont les composantes régionales ont décidé de former un tout. Et dans cette perspective, les cantons acceptent de contribuer, ou de bénéficier. Mais on est passé ces trente dernières années d’un fédéralisme collaboratif à un fédéralisme compétitif. Entendez que les cantons, par le biais de la concurrence fiscale, cherchent à s’approprier tant des entreprises que des personnes physiques nanties au détriment de leurs cantons d’origine, générant une concurrence fiscale à la baisse à Zoug, par exemple. Tandis que d’autres cantons sont lésés. Tout cela est en partie compensé par les flux financiers entre les cantons dont le potentiel des ressources est élevé et ceux où il est faible. Mais, quelque part, il y a moins de cohésion nationale du fait que cette compétition fiscale est dommageable pour les cantons qui perdent des contribuables.
L’année dernière, les Suisses ont largement accepté l’imposition minimale de l’OCDE qui verse les trois quarts des recettes aux cantons, et seulement un quart à la Confédération. Est-ce que cela nuit à cette cohésion nationale dont vous parlez? Oui, c’est pour moi un regret. Avec davantage de ces recettes, la Confédération pourrait réduire les disparités économiques ou sociodémographiques entre les cantons. On ne peut pas changer le territoire d’un canton et déplacer les vallées où la topographie limite l’essor économique. Mais, au niveau de la population, on pourrait faire en sorte que les cantons où l’âge moyen est plus élevé qu’ailleurs reçoivent de l’argent pour garantir une relève démographique.
Le parlement avait proposé d’allouer 770 millions de francs par an de la Confédération aux structures d’accueil pour enfants, Karin Keller-Sutter avait tranché que cela relevait des compétences cantonales… Oui, c’est typiquement ce genre de fonds national qui garantirait une égalité de traitement et de préservation de la cohésion nationale. Et le fait d’avoir des enfants qui ensuite étudient, puis produisent une partie du revenu national, contribue au développement économique du canton où ces personnes travaillent.
Revenons-en aux cantons, avec Genève qui annonce une baisse d’impôts à sa population, qu’est-ce que cela vous inspire? Si ces cantons réallouaient leurs excédents budgétaires à des politiques publiques cantonales, en mettant par exemple sur pied un fonds d’investissement pour la transition énergétique, cela serait favorable à un développement économique durable. Ensuite, si l’économie genevoise a une croissance plus forte grâce à ces investissements publics, cela se répercute dans la péréquation dont bénéficient les cantons en difficulté. Or malheureusement, la tendance des cantons qui font des excédents budgétaires est souvent de réduire les barèmes d’impôts. En général, cela ne contribue pas à la croissance économique.
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