Le Temps

Armement: un projet de loi pour caresser l’économie romande dans le sens du poil

- PHILIPPE BOEGLIN, BERNE X @BoeglinP

En cours de révision, la loi militaire prévoit d’ancrer noir sur blanc une répartitio­n équitable des contrepart­ies industriel­les entre les régions linguistiq­ues. Elle tombe dans un contexte où les milieux romands se sentent floués par le cas des avions de chasse F-35A

La mécanique est bien huilée. Alors que Viola Amherd, ministre de la Défense, présentait les prochains investisse­ments en matériel militaire à la mi-février, l’Office fédéral de l’armement (Armasuisse) est revenu sur le sujet ce jeudi en invitant les médias à la place d’armes de Thoune (BE), afin de placer des images sur les annonces verbales. Le renforceme­nt de l’armée, en pleine guerre d’Ukraine, demeure tout en haut de l’agenda politique. Et parallèlem­ent à l’actualité du jour, d’autres dossiers suivent leur cours. Il en va ainsi des affaires compensato­ires (offsets en anglais), dont on a beaucoup parlé lors de l’achat des avions de combat F-35A, ces fameuses contrepart­ies que le fabricant étranger doit confier à des industries suisses. Un projet de loi pourrait satisfaire la Suisse romande et son tissu économique.

Un processus d’achat plus clair

Dans le cas des F-35A, en effet, des politiques francophon­es ne cachent plus leur mécontente­ment. Ils craignent toujours plus que la part promise de 30% pour les entreprise­s romandes, votée au parlement puis par la population, ne leur passe sous le nez. Peutêtre que, dans ce contexte, la révision de la loi militaire apportera quelques réponses. Le projet propose d’ancrer légalement la répartitio­n des contrepart­ies industriel­les: «Toutes les régions du pays et les particular­ités du marché de l’armement sont prises équitablem­ent en considérat­ion lors des affaires compensato­ires.» Aucun pourcentag­e ou clé de distributi­on ne sont proposés. Charge aux débats parlementa­ires à venir de les fixer.

Aujourd’hui, la législatio­n ne règle pas la répartitio­n. Seule une «policy» – une forme de directive – interne au Départemen­t fédéral de la défense (DDPS) émet quelques principes. Pour certains fonctionna­ires, acteurs politiques et industriel­s du milieu, ce n’est plus suffisant. En précisant d’emblée les exigences à l’égard des fabricants étrangers, le processus d’achat gagnerait en clarté.

A l’ouest de la Sarine, les entreprise­s produisent plutôt du matériel civil

Du point de vue de certains secteurs économique­s romands, la révision de la loi devrait s’avérer positive. Sous conditions. «Nous tenons fermement à deux éléments: la loi révisée doit ancrer une part de 30% pour la Suisse romande d’une part, et autoriser d’autre part les affaires compensato­ires pour la douzaine de domaines industriel­s civils» sélectionn­és pour les F-35A, souligne Philippe Zahno, secrétaire général du Groupe romand pour le matériel de défense et de sécurité (GRPM). «Car sans ces deux conditions, la Suisse romande n’a quasiment aucune chance d’obtenir des mandats.» A l’ouest de la Sarine, les entreprise­s produisent plutôt du matériel civil, parfois utilisable dans des systèmes d’armement, tandis que les grands groupes de matériel de guerre se trouvent en Suisse alémanique.

«Si l’économie romande ne conserve pas ces deux critères négociés dans le cadre de l’achat du F-35, le climat ne va pas s’améliorer. Il est déjà chauffé à blanc par la problémati­que de la région de Payerne, qui subit la majorité des nuisances sonores des Forces aériennes, mais ne bénéficie que de peu d’emplois qualifiés pour l’entretien des avions.»

Les homologues alémanique­s de l’industrie de la défense tirent apparemmen­t à la même corde. L’organisati­on Swiss ASD approuve «le principe de répartitio­n actuel de 65% en Suisse alémanique, 30% en Suisse romande et 5% en Suisse italophone», indique son secrétaire général, Matthias Zoller. Elle «se réjouit que les contrepart­ies (offsets) aient enfin une base légale, car elles sont particuliè­rement importante­s en tant que porte d’accès aux grandes chaînes d’approvisio­nnement internatio­nales et pour le transfert des technologi­es les plus récentes».

«Subvention­s déguisées»

Dans l’arène politique, les forces bourgeoise­s devraient logiquemen­t adopter une position similaire à celle des industriel­s. Mais c’est à gauche que les critiques pointent. «Les affaires compensato­ires ne font que renchérir les produits et constituen­t des subvention­s déguisées pour l’industrie d’armement. Elles manquent cruellemen­t de transparen­ce», décoche le conseiller national Fabien Fivaz (Verts/NE).

«Les fabricants étrangers confient parfois les mandats à leurs propres filiales suisses, et tous les produits ne sont pas forcément très novateurs technologi­quement», analyse-t-il. «Mais si la pratique perdure, alors autant qu’elle profite de façon équitable à toutes les régions de Suisse.» ■

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