Armement: un projet de loi pour caresser l’économie romande dans le sens du poil
En cours de révision, la loi militaire prévoit d’ancrer noir sur blanc une répartition équitable des contreparties industrielles entre les régions linguistiques. Elle tombe dans un contexte où les milieux romands se sentent floués par le cas des avions de chasse F-35A
La mécanique est bien huilée. Alors que Viola Amherd, ministre de la Défense, présentait les prochains investissements en matériel militaire à la mi-février, l’Office fédéral de l’armement (Armasuisse) est revenu sur le sujet ce jeudi en invitant les médias à la place d’armes de Thoune (BE), afin de placer des images sur les annonces verbales. Le renforcement de l’armée, en pleine guerre d’Ukraine, demeure tout en haut de l’agenda politique. Et parallèlement à l’actualité du jour, d’autres dossiers suivent leur cours. Il en va ainsi des affaires compensatoires (offsets en anglais), dont on a beaucoup parlé lors de l’achat des avions de combat F-35A, ces fameuses contreparties que le fabricant étranger doit confier à des industries suisses. Un projet de loi pourrait satisfaire la Suisse romande et son tissu économique.
Un processus d’achat plus clair
Dans le cas des F-35A, en effet, des politiques francophones ne cachent plus leur mécontentement. Ils craignent toujours plus que la part promise de 30% pour les entreprises romandes, votée au parlement puis par la population, ne leur passe sous le nez. Peutêtre que, dans ce contexte, la révision de la loi militaire apportera quelques réponses. Le projet propose d’ancrer légalement la répartition des contreparties industrielles: «Toutes les régions du pays et les particularités du marché de l’armement sont prises équitablement en considération lors des affaires compensatoires.» Aucun pourcentage ou clé de distribution ne sont proposés. Charge aux débats parlementaires à venir de les fixer.
Aujourd’hui, la législation ne règle pas la répartition. Seule une «policy» – une forme de directive – interne au Département fédéral de la défense (DDPS) émet quelques principes. Pour certains fonctionnaires, acteurs politiques et industriels du milieu, ce n’est plus suffisant. En précisant d’emblée les exigences à l’égard des fabricants étrangers, le processus d’achat gagnerait en clarté.
A l’ouest de la Sarine, les entreprises produisent plutôt du matériel civil
Du point de vue de certains secteurs économiques romands, la révision de la loi devrait s’avérer positive. Sous conditions. «Nous tenons fermement à deux éléments: la loi révisée doit ancrer une part de 30% pour la Suisse romande d’une part, et autoriser d’autre part les affaires compensatoires pour la douzaine de domaines industriels civils» sélectionnés pour les F-35A, souligne Philippe Zahno, secrétaire général du Groupe romand pour le matériel de défense et de sécurité (GRPM). «Car sans ces deux conditions, la Suisse romande n’a quasiment aucune chance d’obtenir des mandats.» A l’ouest de la Sarine, les entreprises produisent plutôt du matériel civil, parfois utilisable dans des systèmes d’armement, tandis que les grands groupes de matériel de guerre se trouvent en Suisse alémanique.
«Si l’économie romande ne conserve pas ces deux critères négociés dans le cadre de l’achat du F-35, le climat ne va pas s’améliorer. Il est déjà chauffé à blanc par la problématique de la région de Payerne, qui subit la majorité des nuisances sonores des Forces aériennes, mais ne bénéficie que de peu d’emplois qualifiés pour l’entretien des avions.»
Les homologues alémaniques de l’industrie de la défense tirent apparemment à la même corde. L’organisation Swiss ASD approuve «le principe de répartition actuel de 65% en Suisse alémanique, 30% en Suisse romande et 5% en Suisse italophone», indique son secrétaire général, Matthias Zoller. Elle «se réjouit que les contreparties (offsets) aient enfin une base légale, car elles sont particulièrement importantes en tant que porte d’accès aux grandes chaînes d’approvisionnement internationales et pour le transfert des technologies les plus récentes».
«Subventions déguisées»
Dans l’arène politique, les forces bourgeoises devraient logiquement adopter une position similaire à celle des industriels. Mais c’est à gauche que les critiques pointent. «Les affaires compensatoires ne font que renchérir les produits et constituent des subventions déguisées pour l’industrie d’armement. Elles manquent cruellement de transparence», décoche le conseiller national Fabien Fivaz (Verts/NE).
«Les fabricants étrangers confient parfois les mandats à leurs propres filiales suisses, et tous les produits ne sont pas forcément très novateurs technologiquement», analyse-t-il. «Mais si la pratique perdure, alors autant qu’elle profite de façon équitable à toutes les régions de Suisse.» ■