La BNS l’a emporté sur l’inflation
Contre toute attente, la Banque nationale suisse a décidé hier d’abaisser son taux directeur de 0,25 point à 1,5%, estimant la hausse des prix sous contrôle. Elle devient ainsi le premier institut d’émission occidental à ouvrir le cycle de baisse
La Banque nationale suisse a une nouvelle fois déjoué les pronostics, en abaissant son taux directeur de 0,25 point à 1,5%. Au vu de la baisse de l’inflation, la BNS a pris les devants, en recalibrant sa politique monétaire avant les autres grandes banques centrales. Cet assouplissement «est possible, car la lutte contre l’inflation au cours des cinq derniers semestres a été efficace», a souligné le président sortant Thomas Jordan devant les médias à Zurich.
Depuis l’été dernier, le renchérissement s’inscrit sous le seuil de 2%, soit dans la fourchette que la BNS assimile à la stabilité des prix. Après un pic de 3,5% en août 2022, l’inflation a rapidement reculé et n’est plus que de 1,2% aujourd’hui, laissant les coudées franches à la Banque nationale pour abaisser son taux directeur.
Dans la foulée, l’institut d’émission monétaire a nettement réduit ses prévisions d’inflation.
Elle anticipe désormais un renchérissement de 1,4% en 2024, contre une précédente estimation de 1,9%. Et l’inflation devrait continuer à reculer durant les prochaines années, à 1,2% en 2025, et à 1,1% en 2026.
Si quelques économistes s’attendaient à un abaissement des taux dès à présent, la majorité d’entre d’eux tablaient sur une première baisse en juin. D’aucuns anticipaient que la BNS attendrait que les autres grandes banques centrales initient le mouvement de baisse des taux.
Les vertus de l’indépendance
Mercredi soir, la Réserve fédérale américaine (Fed) a maintenu ses taux inchangés, au plus haut niveau depuis plus de vingt ans. «Notre but n’est pas d’être la première ou la dernière banque centrale à abaisser ses taux, relève à ce propos Thomas Jordan. Les prévisions d’inflation sont suffisamment claires pour le faire. La BNS est indépendante et prend ses décisions dans l’intérêt du pays.»
Depuis longtemps, la BNS ne craint pas de surprendre les investisseurs par des mesures abruptes. La décision d’hier ajoute un nouveau chapitre à son histoire. Parmi les exemples précédents, citons l’abandon soudain en 2015 du taux plancher de l’euro et la hausse surprise de 50 points de base du taux directeur, alors en zone négative, en juin 2022.
Au-delà de l’atténuation de la pression inflationniste, la décision de la BNS «tient également compte de l’appréciation du franc enregistrée l’année écoulée», explique l’institut. Fin 2023, la monnaie helvétique s’est considérablement appréciée face au dollar et à l’euro, contribuant à amortir l’inflation importée. Parallèlement, le renforcement du franc pénalisait l’industrie d’exportation, déjà confrontée à une conjoncture moribonde.
«Si la BNS a probablement gagné la guerre contre l’inflation ce n’est que pour retomber dans son combat de toujours: sa lutte contre le franc fort», résume dans un commentaire Julien Stähli, directeur des investissements à la Banque Bonhôte. A ses yeux, l’action de la BNS devrait atténuer les pressions sur le franc et réduire la nécessité pour la banque centrale de recourir à des interventions susceptibles de gonfler davantage son bilan.
Soutien bienvenu à la croissance
Depuis le début de l’année, le franc s’est déjà sensiblement affaibli: l’euro a gagné près de 5 centimes par rapport à la devise helvétique. La monnaie unique dépassait hier 0,97 franc, boostée par l’assouplissement monétaire de la BNS. L’abaissement du taux directeur soutient également la croissance, a relevé Thomas Jordan. Car dans les prochains trimestres, celle-ci devrait demeurer atone, estime la banque centrale, qui table sur une hausse du produit intérieur brut (PIB) d’environ 1% cette année.
Après cinq resserrements monétaires opérés à partir de l’été 2022, qui ont fait passer le taux directeur de -0,75 à +1,75% en juin 2023, la BNS avait opté en septembre pour le statu quo, une décision réitérée en décembre. Conformément à ses habitudes, Thomas Jordan n’a donné aucune indication quant aux futurs choix de politique monétaire. Deux baisses supplémentaires de taux sont probables, selon les analystes, ce qui porterait le taux directeur à 1% en fin d’année.
Il s’agit «d’un cadeau d’adieu idéal de Thomas Jordan, qui peut ainsi clairement indiquer à son successeur la direction à suivre», commente la banque Lombard Odier dans une note. Figure imposante, le président de la BNS a annoncé au début du mois sa démission à fin septembre. Le vice-président Martin Schlegel fait figure de favori pour lui succéder. Interrogé à ce propos, ce dernier n’a pas souhaité commenter. Le triumvirat de la BNS est au complet depuis le début de l’année et l’arrivée d’Antoine Martin, transfuge de la Fed. Le Vaudois se présentait hier pour la première fois devant les médias depuis son entrée en fonction.
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«La BNS est indépendante et prend ses décisions dans l’intérêt du pays» THOMAS JORDAN, PRÉSIDENT DE LA BANQUE NATIONALE SUISSE