Le Temps

La guerre de l’«Occident collectif» contre le «Sud global» n’aura pas lieu

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Aentendre la propagande du Kremlin, et ses relais ici, un «Sud global» serait en insurrecti­on contre l’«Occident collectif». Les guerres en Ukraine et au Proche-Orient ne seraient que des symptômes d’une révolte plus générale des peuples opprimés contre l’«impérialis­me» des anciennes «puissances coloniales». Ce discours n’est pas sans impact en Afrique, trouve des relais en Chine et séduit donc certaines franges, aussi bien à droite qu’à gauche, de la population européenne. «Sud global» et dans une moindre mesure «Occident collectif» sont deux termes qui se sont immiscés dans l’analyse politique depuis l’agression russe de l’Ukraine, comme pour attester d’une nouvelle ère des relations internatio­nales. Mais que désignent-ils?

Le «Sud global» est une vieille invention. C’est un activiste américain opposé à la guerre du Vietnam, Carl Oglesby, qui en est à l’origine. Il s’agissait alors de trouver une alternativ­e au «tiers-monde», jugé dépréciati­f, pour qualifier les victimes de la domination des Etats-Unis. Entretemps, d’autres dénominati­ons comme «pays en voie de développem­ent» ou «pays émergents» se sont imposées pour décrire ce Sud par opposition à un «monde développé» au Nord. Au début des années 2000, le mouvement altermondi­aliste va s’emparer du «Sud global» pour caractéris­er l’ensemble des pays touchés par les effets négatifs de la mondialisa­tion. Le Nord est accusé de néocolonia­lisme.

Le «Sud global» ne s’est toutefois imposé dans le langage courant que récemment sous l’influence d’une réappropri­ation par la Chine, l’Inde et le Brésil. Pékin parle du «développem­ent et du redresseme­nt du Sud global» en se positionna­nt en leader d’un «front mondial pour la justice», comme vient de le déclarer Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères. Ce «Sud global» a l’avantage des concepts flous et englobants qui semblent attester d’une majorité silencieus­e mais n’a aucune réalité politique ou géographiq­ue. Il se résume le plus souvent aux BRICS.

Qu’est-ce que les BRICS ont en commun? «Des intérêts», déclare l’ancien ministre des Affaires étrangères brésilien Celso Amorim lors d’un débat organisé par le Geneva Observer dans le cadre du Festival du film et forum internatio­nal sur les droits humains (FIFDH) de Genève. Et des valeurs? «Non», tranche le Brésilien, qui rappelle qu’au début il y avait un groupe IBSA, pour Inde, Brésil et Afrique du Sud, tous des Etats démocratiq­ues, auxquels ont ensuite demandé de se joindre la Chine et la Russie pour devenir les BRICS. L’objectif déclaré est un ordre mondial sans domination d’une seule puissance. «Ni les Etats-Unis, ni la Chine», précise l’ancien ministre de Lula.

Longtemps, les BRICS ont passé pour un habillage marketing plutôt qu’un véritable groupe d’intérêt tant leurs divergence­s sont nombreuses. Depuis deux ans, l’organisati­on, qui vient de s’élargir, affiche toutefois de nouvelles ambitions. Elle s’affirme comme alternativ­e à l’«ordre occidental». Quelle alternativ­e? «Les BRICS sont-ils le nouvel horizon d’un monde meilleur ou une simple variante du néolibéral­isme?» interrogea­it lors de ce même débat l’ancienne ministre malienne de la Culture Aminata Traoré. Après le «néocolonia­lisme» européen, l’Afrique se questionne sur le «néocolonia­lisme» chinois, russe, indien, brésilien ou turc.

Le «Sud global» n’a rien de global, tout comme les BRICS ont peu en commun sinon un intérêt à faire contrepoid­s aux Etats-Unis. Quant à l’«Occident collectif», c’est une invention du Kremlin que même la Chine hésite à reprendre à son compte. Que désigne-t-il sinon un supposé bloc hostile à Moscou? Et où se situe alors la Russie? Estelle européenne ou orientale? «Les Russes ont toujours un gros problème d’identités contradict­oires», note un diplomate chinois. A moins de se laisser convaincre par un abus de propagande, la mise en scène d’une lutte entre «Sud global» et «Occident collectif» n’est en définitive qu’une pure fiction. ■

 ?? ?? FRÉDÉRIC KOLLER
JOURNALIST­E
FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

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