L’odyssée chaotique d’un horloger de légende
Dominique Renaud est une figure centrale de la renaissance de l’horlogerie à grande complication dans les années 1980. Mais il aura dû attendre près de quarante ans pour qu’une de ses montres trouve son marché. Et son bonheur, c’est de ne pas l’avoir faite tout seul
Dominique Renaud. Ce nom ne dira rien à beaucoup de monde. Dans les milieux de l’horlogerie, c’est une légende. Et il est de retour, comme un Ulysse, après une longue odyssée chaotique. Les cheveux gris, l’esprit vert, il ne revient pas seul, mais avec une marque (Renaud Tixier), une équipe, une première montre et un carnet de commandes déjà trop rempli. Quoi de plus banal pour un horloger? Oui, sauf que Dominique Renaud, tout légendaire qu’il soit, attend ce moment depuis près de quarante ans.
Il vient de rentrer d’une mini-tournée en Asie, pour présenter sa création. Il est passé par Tokyo et Singapour, où des collectionneurs ultra-fortunés se sont pressés pour le toucher, comme un monument. Mais il est resté lui-même, monolithique, explique Michel Nieto, qui dirige la marque: «Dominique, tu ne peux pas le changer. Il est avec tout le monde comme il est dans le privé. Il est face à des collectionneurs milliardaires et sort des photos de son grand-père.» Ce grand-père qui était horloger à la vallée de Joux et dont le propre grand-père était lui aussi horloger à la Vallée. Il a sans doute aussi parlé de son père, qui a été patron de la normalisation du Cetehor (Centre technique de l’industrie horlogère) de Besançon, et de sa mère, qui a travaillé comme régleuse chez Jaeger-LeCoultre, puis Vacheron Constantin.
Indépendant à 27 ans
Mais ce qui a fait sa légende, il n’a pas eu besoin de le raconter. Dominique Renaud en était le premier surpris: «Tous ces journalistes, tous ces collectionneurs qui connaissaient toute mon histoire par coeur.»
Il vient d’avoir 27 ans quand sa saga commence. Il avait un bon poste chez Audemars Piguet, ainsi que Giulio Papi, collègue et ami, de cinq ans son cadet. Ils démissionnent, créent Renaud & Papi, en 1986. Le métier qu’ils veulent exercer n’existe pas: motoriste, développeur de spécialités mécaniques pour des tiers. Leur entreprise casse le moule de la création et sera un berceau de la renaissante horlogerie à grande complication. Leur premier mandat est emblématique: IWC Schaffhouse leur commande un module à sonnerie qu’il s’agit d’ajouter à un quantième perpétuel posé sur un chronographe. Puis viendront Jaeger-LeCoultre, A. Lange & Söhne et d’autres indépendants. Parmi lesquels Audemars Piguet, qui finira par racheter Renaud & Papi, en 2000.
Dominique Renaud cède toutes ses actions et s’exile dans le sud de la France. Puis, un jour de 2012, il décide de recoller avec son destin d’horloger. C’est un inventeur-né, un instinctif, les idées lui tombent des mains tous les matins. Il revisite les fondamentaux de la montre mécanique, l’énergie, la transmission, la précision. Il repart à zéro, embarque sa famille, direction la Suisse. Il a déposé plusieurs brevets et cherche à en faire quelque chose, vendre ses inventions ou ses services. Il contacte les grands patrons. On le reçoit. On le loue. Mais il ne se passe rien.
Alors il monte sa propre structure, avec un associé, Luiggino Torrigiani, en 2013. Un mécène genevois les soutient et acquiert symboliquement la première montre pour 1 million de francs. Cette montre possède un coeur mécanique tellement inédit que personne ne comprend la démarche. Pour le grand public, Dominique Renaud a juste fait «une montre à 1 million». L’entreprise partira en faillite en 2020.
L’horloger sera rattrapé au vol par Benoit Dubuis, président de la fondation Inartis, mentor des
Dominique Renaud, c’est un inventeur-né, un instinctif, les idées lui tombent des mains tous les matins
Campus Biotech de Lausanne et Genève. Il a développé un nouveau protocole pour prélever et analyser l’ADN et pense qu’une montre pourrait être un bon relais de visibilité. Dominique Renaud a entre-temps fait la connaissance de Julien Tixier, praticien accompli alors qu’il n’a pas encore 30 ans. Ils travailleront près de deux ans sur le projet, baptisé «Tempus Fugit». La montre est présentée en 2022. L’oeuvre est magistrale. Elle intègre le plus petit quantième perpétuel séculaire au monde (un calculateur mécanique qui prend en compte la totalité des irrégularités du calendrier). Elle est entièrement réalisée et finie à la main. Mais personne n’y comprend rien: sa complication principale est un indicateur de réserve de vie, le public y voit un indicateur de mort. Dominique Renaud regagne l’ombre et vit d’expédients, payés à la sarbacane.
Approche collective
Jusqu’au jour où son chemin croise celui de Michel Nieto et Jean-Luc Errant. Michel Nieto est un routard de l’industrie. Il a dirigé Baume & Mercier et HYT. Il est passé chez Cartier, Panerai, Montblanc, Piaget, Bulgari, Genta, Roth. Jean-Luc Errant est ingénieur, Français. Il a derrière lui une longue carrière dans les technologies médicales et devant lui assez d’enthousiasme pour se risquer dans l’horlogerie, dont il ignore tout.
Une équipe se met en place. Des indépendants, des talents, réunis dans un seul but: permettre à Dominique Renaud d’exprimer ses dons d’inventeur. Cette fois, le projet avance vite. L’équipe se construit comme une pièce de mécanique, tous complémentaires. Le duo avec Julien Tixier se reforme naturellement. Le tandem devient le motif central et donne son nom à la marque: Renaud Tixier. Le prototype nécessite un bon millier d’heures de travail. La montre commence immédiatement sa tournée. Dubaï, New York, Hongkong, Tokyo, Singapour. La crème des détaillants. Des dizaines de collectionneurs et de journalistes tous les soirs. Des commandes impossibles à honorer. Et Dominique Renaud, qui ne déroche pas, fidèle à lui-même. Questionné par téléphone sur son ressenti alors qu’il se trouvait à Tokyo: «Je suis avec Julien et je suis heureux de pouvoir partager. C’est bien de travailler en binôme.»
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