Le Temps

Miami, capitale du «Tennis State»

Courts urbains, temps clément et fiscalité avantageus­e attirent de nombreux athlètes en Floride. Jusqu’au 31 mars, le «cinquième tournoi de Grand Chelem» permet de prendre la mesure de la passion locale pour la petite balle jaune

- SIMON PETITE, MIAMI X @simonpetit­e

Sur le central du Miami Open, abrité dans le stade de 60 000 places de l’équipe de football américain des Dolphins en périphérie de la ville, Darwin Blanch fait ses débuts sur le circuit profession­nel. Il n’a que 16 ans – presque un record de précocité pour un tournoi estampillé Masters 1000, la catégorie la plus importante après les quatre tournois du Grand Chelem.

Doté d’un service et d’un coup droit puissants, ce gabarit imposant malmène son adversaire. Son physique et sa coupe frisée rappellent immédiatem­ent la nouvelle coqueluche du tennis américain, Ben Shelton, déjà 16e mondial à 21 ans, et qui se prête avec le sourire aux interviews juste derrière les gradins temporaire­s.

Les deux joueurs ont un autre point commun: la Floride. Darwin Blanch en est originaire, Ben Shelton y est basé. Comme la quasi-totalité de la trentaine d’athlètes américains inscrits dans les tableaux masculin et féminin du Miami Open. Comme de nombreux étrangers qui ont posé leurs raquettes dans le Sunshine State. Ou faudrait-il dire le «Tennis State»?

Une multitude d’académies, et de tournois

Un peu paradoxale­ment, Darwin Blanch s’est, lui, exilé en Espagne, où il s’aguerrit dans l’académie de Juan Carlos Ferrero, entraîneur du numéro 2 mondial Carlos Alcaraz, l’un des favoris du tournoi, et de quatre ans son aîné. Voilà que le jeune Américain prend le service du Tchèque Tomas Machac. Sept ans d’expérience et plus de 900 places au classement ATP les séparent. Le public encore clairsemé pour ce premier tour frémit. Mais l’adolescent ne confirme pas sur le jeu suivant et perd le premier set face à un joueur plus régulier. L’intérêt retombe et les spectateur­s poursuiven­t leur balade autour des dix courts accueillan­t des matchs sous un soleil de printemps floridien qui ressemble à un été européen. Alors que les jeux défilent en défaveur du novice Darwin Blanch, une autre joueuse locale vient répondre aux questions de journalist­es après un premier tour victorieux.

Agée de 31 ans, Sloane Stephens est la dernière Américaine à avoir remporté le tournoi (en 2018) et, surtout, elle a atteint le graal du tennis outre-Atlantique, en remportant l’US Open à New York l’année précédente. Le secret de la Floride? «Que vous soyez un junior ou en pleine ascension, tout le monde vient ici. Il y a tellement d’académies, de tournois et d’opportunit­és. C’est la Mecque du tennis.» Le numéro un américain, Taylor Fritz, 13e mondial, joue lui aussi à domicile. «C’est sympa de pouvoir rester à la maison, de venir ici en voiture, puis de retourner dormir chez soi. Je joue mieux dans ces conditions», affirme le résident de Miami. «Le seul inconvénie­nt est qu’il faut faire son lit», ajoute Frances

Tiafoe, 21e mondial, qui habite, lui, plus au nord, à Boca Raton, à trente minutes du Hard Rock Stadium. Aucun des deux joueurs n'est pourtant originaire de Floride. Adam Ross, journalist­e pour le site Florida Tennis, qui écume les tournois locaux depuis des années, rappelle une évidence: «Il faut trouver des partenaire­s et, ici, la densité de joueurs et de joueurs de top niveau est inégalée.» L'Etat jouit aussi d'un climat fiscal clément, avec une absence d'impôt sur le revenu.

Ce pouvoir d'attraction ne date pas d'hier. Les légendes du tennis américain Martina Navratilov­a ou Chris Evert, dont la famille a ouvert une académie à Palm Beach, ont usé leurs baskets sur les courts de Floride. On peut y jouer en plein air tous les jours de l'année, «à part vers 15h, quand il y a un orage», sourit Sloane Stephens. Décédé en 2022, l'entraîneur Nick Bollettier­i, qui a forgé plusieurs numéros un mondiaux chez les hommes comme chez les femmes dans son académie de Bradenton, a définitive­ment placé la Floride au centre de la carte du tennis. En 2017, la Fédération américaine de tennis (USTA) a ouvert un campus avec 100 courts à Orlando.

La Floride respire le tennis. Selon l'USTA, elle compte plus d'un million de licenciés. Nul autre Etat n'en compte autant. A Miami, les courts publics en dur, faciles d'entretien et parfois gratuits, parsèment les rues, quoique désormais grignotées par le pickleball, moins physique et technique que le tennis. Il y a quelques années, la joueuse Danielle Collins, finaliste à l'Open d'Australie en 2022, racontait comment elle avait fait ses armes sur ces courts publics, contre des joueurs plus âgés qu'elle. Mais cette ascension en dehors des académies reste une exception.

«J'ai parfois joué avec un couple près de chez moi quand j'avais 10 ou 11 ans mais je suis devenue rapidement trop forte pour eux», se souvient Coco Gauff, 3e mondiale à tout juste 20 ans. La tenante du titre de l'US Open habite encore chez ses parents, à une demi-heure du stade de Miami. «Les terrains de basketball étaient toujours plus fréquentés que les courts de tennis, même si le succès des soeurs Williams a promu notre sport auprès des Afro-Américains», dit la joueuse qui se sait très attendue cette année à Miami.

L’Arabie saoudite prête à investir des milliards

A l'exception de Novak Djokovic, le tournoi accueille tous les meilleurs joueurs et joueuses du monde. Miami se dispute avec Indian Wells, en Californie, qui se tient juste avant, le titre officieux de «cinquième tournoi du Grand Chelem». Depuis qu'il a déménagé en 2019 de l'île de Key Biscayne, l'événement a perdu en authentici­té mais gagné en amplitude. L'an dernier, il a attiré 386 000 spectateur­s.

Dirigé par l'ancien joueur américain James Blake, le Miami Open est détenu par IMG, société américaine d'événementi­el et qui représente des célébrités, dont de nombreux joueurs et joueuses qui se produisent sur les courts de Miami. L'Arabie saoudite, qui veut investir des milliards dans le tennis, lorgnerait le tournoi de la «cité magique». Quant au stade, il appartient au milliardai­re Stephen Ross, un magnat de l'immobilier américain également propriétai­re des Miami Dolphins. Au lendemain de la finale, dimanche 31 mars, les gradins de tennis seront rapidement démontés; les ouvriers s'affairent déjà à monter d'autres tribunes pour le prochain grand événement qui se déroulera dans l'enceinte des Dolphins: le Grand Prix de formule 1 dans un peu plus d'un mois. ■

La Floride respire le tennis. Elle compte plus d’un million de licenciés. Nul autre Etat n’en compte autant

 ?? (MIAMI GARDENS, 25 MARS 2023/CLIVE BRUNSKILL/GETTY IMAGES) ?? L’Italien Matteo Berrettini face à l’Américain Mackenzie McDonald sur le court no 1 du Miami Open.
(MIAMI GARDENS, 25 MARS 2023/CLIVE BRUNSKILL/GETTY IMAGES) L’Italien Matteo Berrettini face à l’Américain Mackenzie McDonald sur le court no 1 du Miami Open.
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland