Le Temps

Le Brésil dans le creux de la vague

Décevante lors du dernier Mondial, la Seleção a vécu une année 2023 inquiétant­e en termes de jeu comme de résultats. S’agit-il d’une crise passagère ou d’un mal profond pour ce morceau de patrimoine national?

- FLORENT TORCHUT, RIO DE JANEIRO X @FlorentTor­chut

Ils enflamment toujours le mercato comme les plus grands stades d'Europe. Vitor Roque au Barça, Endrick au Real Madrid, Lucas Beraldo au PSG, Marcos Leonardo à Benfica… La liste des «cracks» brésiliens qui ont traversé l'océan ou fouleront bientôt les pelouses européenne­s à l'instar de Vinicius Jr, Gabriel Martinelli ou Rodrygo s'est encore allongée cet hiver.

Le football auriverde traverse pourtant une zone de turbulence­s. Si ses clubs règnent sans partage sur la Copa Libertador­es depuis 2019 (cinq victoires), la Seleção enchaîne les mauvais résultats et a perdu le football chatoyant qui a fait son succès.

Eliminé en quart de finale de la dernière Coupe du monde par la Croatie aux tirs au but, défait chez lui par l'Argentine lors de la Copa América 2021 (0-1 en finale), le Brésil a perdu pour la toute première fois trois rencontres consécutiv­es dans le cadre des éliminatoi­res de Coupe du monde, à l'automne, face à l'Uruguay (0-2), la Colombie (1-2) et l'Argentine (0-1). Sixième de la zone sud-américaine (dernière place directemen­t qualificat­ive pour le Mondial 2026), la Seleção réalise le pire démarrage de son histoire dans l'exercice, avec seulement deux victoires (contre la Bolivie et le Pérou) en six matchs. Avec 55% de défaites en 2023, elle affiche même son bilan le plus négatif depuis 1940. C'est donc sans confiance ni sérénité qu'elle fera sa rentrée samedi à Wembley contre l'Angleterre, pour un match amical de prestige.

«Je veux que les supporters brésiliens croient de nouveau en la Seleção, qu’elle les inspire de nouveau»

DORIVAL JUNIOR, NOUVEAU SÉLECTIONN­EUR DU BRÉSIL

En quête d’une dynamique

«C'est l'un des pires moments pour la Seleção, a lâché l'ancien attaquant de Corinthian­s Walter Casagrande sur le portail sportif UOL. Je suis l'équipe depuis cinquante ans et je n'ai jamais vu une équipe aussi mauvaise que celle-ci. On touche le fond.» Après la démission du sélectionn­eur Tite en janvier 2023, dans la foulée de la Coupe du monde qatarie, Ramon Menezes avait été appelé à la rescousse. Fernando Diniz lui a succédé en juillet dernier pour assurer l'intérim, tout en continuant de diriger le club carioca de Fluminense. Une aberration pour beaucoup. «La fédération brésilienn­e n'a que faire de la Seleção: elle a mis à sa tête un pigiste! Son président décide de tout, tout seul, dépeint Martin Fernandez, chargé de suivre la sélection auriverde pour le quotidien O Globo. Il rêvait de faire venir Carlo Ancelotti sur le banc mais n'avait pas de projet…»

Le technicien italien a finalement choisi de prolonger son aventure au Real Madrid et Ednaldo Rodrigues, le fameux omni-président, a dû se rabattre sur Dorival Jr, intronisé le mois dernier. Réputé pour son management humain et son jeu porté vers l'offensive, celui-ci a coaché une vingtaine de clubs depuis ses débuts sur le banc en 2002 et remporté la Copa Libertador­es avec Flamengo il y a deux ans. «Le football brésilien nous a toujours montré la voie de la victoire et nous devons retrouver cela, a clamé le néo-sélectionn­eur lors de sa présentati­on. Je veux que les supporters brésiliens croient de nouveau en la Seleção, qu'elle les inspire de nouveau.»

Pour nombre d'observateu­rs, le football brésilien traverse une période de transition, où les perles se font plus rares. «On a une véritable carence au poste d'arrière droit, constatait l'ancien piston de l'AC Milan Serginho sur UOL. On doit être patients, ce ne sera pas facile pour le Brésil de retrouver une dynamique positive, avec des joueurs de haut niveau. L'Argentine et l'Italie sont passées par là et malheureus­ement l'heure du Brésil est arrivée.» Lui aussi ex-internatio­nal, Edmilson se veut plus optimiste. «Palmeiras fait un travail de formation fantastiqu­e, avec Endrick, Estevão, Luis Guilherme… Qui devraient un jour porter le maillot de la Seleção.»

Martin Fernandez est sur la même longueur d'onde que l'ancien défenseur du Barça et de l'Olympique lyonnais. «Si l'Europe continue de venir recruter chez nous, cela signifie que l'on forme toujours de bons joueurs, à tous les postes, constate le journalist­e. On ne peut pas parler de déclin, à mon sens: Rodrygo, Vinicius et Martinelli n'ont pas encore 23 ans, Bruno Guimaraes et Lucas Paqueta en ont 26…»

Ex-attaquant de Lille, Tulio de Melo exerce désormais comme agent et sillonne le pays en quête de pépites. Pour lui aussi, le vivier n'est pas épuisé, mais la nouvelle génération n'a plus autant la tête au football qu'avant. «C'est surtout une question de mentalité. Avant, les joueurs étaient focalisés exclusivem­ent sur le foot: quand ils n'étaient pas à l'entraîneme­nt ou en match ils se faisaient un foot-volley à la plage. Désormais, il y a davantage de distractio­ns, c'est plus rare de trouver des joueurs qui sont concentrés à 100% sur notre sport.»

Cela ne l'empêche pas de croire en l'avenir du futebol brésilien. «Les clubs travaillen­t de mieux en mieux et investisse­nt de plus en plus dans la formation, les infrastruc­tures, le système de détection, poursuit l'ancien joueur formé à l'Atlético Mineiro. Ce qui me gêne, c'est que je vois de plus en plus d'enfants de 7-8 ans quitter leur ville avec leur famille pour aller jouer dans un autre Etat, parfois à plus de 1000 kilomètres. Cela représente beaucoup de pression pour de si jeunes joueurs, qui devraient seulement penser à s'amuser et à jouer au ballon, et pas être un moyen de s'en sortir pour leur famille.»

Capacité de rebond

Admiratif du travail effectué par Tite à la tête de la Seleção pendant six ans, Tulio de Melo estime que l'instabilit­é n'a pas aidé l'équipe nationale à briller ces derniers mois. «Cela fait combien de temps que Didier Deschamps est sélectionn­eur de l'équipe de France?, interroge l'ancien buteur devenu chasseur de talents. Réponse: douze ans. «Eh bien, voilà: il faut créer une dynamique de groupe, que les joueurs se sentent en confiance, qu'il y ait un projet à long terme. Ça peut repartir à tout moment, on va regagner une Coupe du monde à un moment ou à un autre.» Mais pas de troisième titre olympique de rang cet été à Paris: le Brésil a été éliminé de la course aux Jeux lors d'un tournoi qui s'est disputé en début d'année au Venezuela, au profit de l'Argentine et du Paraguay.

Les motifs d'espoir existent néanmoins, dans la capacité souvent démontrée de la Seleção à connaître un nouvel essor après avoir touché le fond. La dernière fois qu'elle avait enchaîné trois défaites avant l'année dernière, c'était en 2001 – elle s'était adjugé sa cinquième et dernière Coupe du monde dans la foulée, en 2002. «Je me souviens d'un livre de 1968 intitulé Na boca do tunnel («A l'entrée du tunnel»), avec l'analyse de grands entraîneur­s de l'époque, deux ans après la Coupe du monde 1966 [où le Brésil avait été éliminé au premier tour], glisse Martin Fernandez. Ils disaient: «On a perdu le jogo bonito, on ne produit plus de talents…» Deux ans plus tard, Pelé et Cie décrochaie­nt la troisième étoile brésilienn­e, la plus brillante de sa glorieuse histoire. ■

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