Le Temps

«Le Problème à trois corps», la série qui allie la création et les gros sous

- Nicolas Dufour X @NicoDufour

Benioff & Weiss auraient pu se la couler douce. Après le colossal succès planétaire de Game of Thrones, les deux quinquas avaient devant eux la perspectiv­e d’une plaisante préretrait­e, ou éventuelle­ment de cachetonne­r en pilotant à distance quelques séries dérivées payées rubis sur l’ongle par HBO.

Mais non. David Benioff et D. B. Weiss ont commencé par mettre le feu aux poudres en imaginant une série contant une Amérique où le Sud aurait gagné la guerre de Sécession. Un peu trop explosif dans le contexte actuel. Après quelques autres hypothèses, ils ont empoigné Le Problème à trois corps, premier volume d’une trilogie fort connue des amateurs de science-fiction, mais pas du grand public. La base de fans est plus ténue que celle des romans de George R. R. Martin. De plus, en pleines tensions américano-chinoises, ils mettent à l’honneur un écrivain chinois vivant dans son pays, dont la fiction est pétrie d’histoire nationale contempora­ine. Pis, le roman en question se révèle particuliè­rement complexe, opérant sur plusieurs niveaux et évoquant de nombreuses notions de physique, d’astronomie et d’ingénierie.

Le choix des deux scénariste­s, et le fait que Netflix a suivi, en dit long sur la puissance de l’industrie des séries en ce milieu de décennie. Nul n’imagine sérieuseme­nt que le coup de Game of Thrones sera répété. Le Problème à trois corps n’a pas le potentiel tonitruant des dragons. Mais qu’importe, le duo a fait le choix de la création, de l’innovation, de l’audace. Prendre pour matière première une fiction aussi compliquée constitue une gageure. Ils l’ont choisie en posant quelques jalons connus – dans l’univers parallèle de la série, qui a quelque air de Westeros –, mais surtout, en ne craignant pas d’aborder les questions fondamenta­les posées par le roman, avant même qu’il soit question d’un contact avec une autre intelligen­ce. Benioff & Weiss avaient les diffuseurs à leurs pieds. Ils ont exigé de lancer le projet le plus ardu, et l’ont obtenu. Il semble évident que Netflix n’ose pas rêver d’égaler la toutepuiss­ance de la série de HBO conclue en mai 2019. Qu’importe, au fond: ce que la plateforme paie, très cher, c’est une prestigieu­se tête de gondole ainsi qu’une incalculab­le exposition sur les réseaux et dans les médias classiques. Les séries sont devenues à ce point puissantes dans le champ culturel qu’elles peuvent provoquer cette alliance objective de l’art et de l’argent.

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