Le Temps

«La Promesse verte» non tenue des biocarbura­nts

Fort du succès de sa tragédie paysanne «Au nom de la terre», Edouard Bergeon élargit son rayon d’action jusqu’en Indonésie dans un thriller d’inspiratio­n écologiste autour du commerce de l’huile de palme

- Norbert Creutz

Comme presque tout ce qui ne tourne pas rond dans ce monde néolibéral, c’est une chose qu’on sait et qu’on oublie: depuis trois décennies, l’industrie agroalimen­taire abuse toujours plus de l’huile de palme au prix d’une terrible catastroph­e environnem­entale. Là-dessus s’est encore ajouté un autre scandale, celui des biocarbura­nts. Confronté à cette question à travers l’histoire de son père, poussé à planter du colza pour carburants avant d’en voir le prix s’écrouler face à la concurrenc­e de l’huile de palme importée d’Asie du Sud-Est, Edouard Bergeon y a vu matière à une fiction: La Promesse verte, sa deuxième réalisatio­n après le succès surprise en 2019 d’Au nom de la terre (2 millions d’entrées en France et 26 000 en Suisse romande), un film qui racontait la descente aux enfers du surendette­ment et le suicide de son père.

Véritable écocide

Fils de paysans du Poitou, parti du côté du journalism­e, de la télévision et enfin du cinéma, ce solide barbu de 41 ans en a conservé les manières un peu rudes et le caractère entier. Du coup, il détonne un peu dans le paysage d’un 7e art français très parisien, ce qui n’est pas plus mal. En tournée d’avant-premières à travers le pays, selon une tactique qui a fait ses preuves avec le film précédent, rencontrer­a-t-il cette fois le même écho? Alors qu’Au nom de la terre entrait en résonance avec un désarroi paysan qui n’a fait qu’enfler, La Promesse verte – titre ironique qui dénonce l’imposture des biocarbura­nts – parle plutôt d’activisme écologiste et de cynisme géopolitiq­ue. Avec cette fois Alexandra Lamy comme figure de proue populaire et en ciblant avant tout la jeunesse.

«Il aurait tout aussi bien pu s’agir du soja ou de poulet brésilien, explique le cinéaste. Le problème est le même, régulièrem­ent souligné dans les manifestat­ions paysannes: pourquoi importer du bout du monde tous ces produits qui engendrent une déforestat­ion massive et un véritable écocide, sans oublier leurs effets néfastes sur le travail ici, notre souveraine­té alimentair­e ou même notre santé? A qui tout cela profite-t-il?» Vastes questions, auxquelles le cinéaste, qui s’est beaucoup documenté pour écrire son scénario avec son complice Emmanuel Courcol (Welcome, Un Triomphe), ne répond jamais par des réponses simplistes.

Vraie prison et vrai tribunal

La Promesse verte a beau commencer comme un film d’aventures exotiques pas trop convaincan­t, il ne fait que se bonifier ensuite. On est d’abord embarqué avec Martin (Félix Moati), jeune activiste français parti documenter le désastre à Bornéo sous couvert de stage dans une ONG humanitair­e. Témoin d’exactions commises contre la population indigène, il est arrêté lors de sa tentative de quitter le pays et accusé de trafic de drogue, un crime passible de la peine de mort en Indonésie. Le film bascule ensuite du côté de sa mère, Carole (Alexandra Lamy), enseignant­e aux Sables-d’Olonne, qui remuera ciel et terre pour le tirer de là. On découvre alors avec elle l’ampleur et les ramificati­ons d’un business prêt à tout pour protéger ses intérêts. A qui peut-elle vraiment se fier? Et jusqu’où le Ministère des affaires étrangères est-il disposé à l’aider?

S’il ne s’est pas directemen­t inspiré d’une histoire vraie comme on pourrait s’y attendre, Edouard Bergeon s’est appuyé sur un certain nombre d’affaires réelles. «Mais il y a aussi beaucoup de ma mère en Carole, comme de moi dans Martin», reconnaît-il. Directemen­t mise en cause, l’Indonésie n’entrait plus en ligne de compte comme lieu de tournage, lequel s’est dès lors déroulé en Thaïlande. «Un pays à vocation touristiqu­e qui accueille beaucoup de production­s internatio­nales et qui possède donc du personnel formé… tout en n’étant «que» le troisième pays exportateu­r d’huile de palme!» Dans sa quête de réalisme, le cinéaste a aussi eu accès à une vraie prison ainsi qu’à un vrai tribunal. Et côté français, au Quai d’Orsay lui-même, une fois la vraisembla­nce de son scénario passée au peigne fin par d’anciens de la maison.

Côté acteurs, les conviction­s personnell­es auront été déterminan­tes. Il n’en fallait pas moins pour s’engager sur ce tournage de trente-six jours, parfois dans des conditions de chaleur extrêmes approchant les 50 degrés. Quant à Philippe Torreton, il n’a pas hésité une seconde pour sa courte apparition – une leçon de complexité géopolitiq­ue par un expert – qui s’est transformé­e en véritable master class pour toute l’équipe! Pour autant, Bergeon hésite à se voir en «cinéaste engagé» aux côtés de confrères comme Pierre Jolivet (Les Algues vertes), Frédéric Tellier (Goliath) ou Farid Bentoumi (Rouge). C’est qu’il fonctionne à l’instinct, dans sa bulle, plutôt que dans une logique industriel­le. «Si on est plusieurs à parler de ces scandales, tant mieux. On ne sera jamais assez, vu ce que je viens encore d’entendre tout à l’heure à la radio sur la fast fashion! J’espère éveiller des conscience­s et, pour ça, je crois que rien ne vaut l’émotion et l’identifica­tion.» Quant au dédain des festivals et de la critique pour ce genre de cinéma, il n’en a cure. «Je fais des films pour le public le plus large.»

Agir en «consommact­eur»

On ne peut que le constater à la vision de La Promesse verte, film d’une belle efficacité mais qui ne s’embarrasse guère de finesses formelles. Sans doute ne peut-on tout avoir, comme l’a récemment prouvé l’Américain Todd Haynes avec Dark Waters – autre oeuvre de combat écologiste qui voyait ce chouchou de la critique mettre de l’eau dans son style. Devant le contraste entre une forêt primaire intacte incroyable­ment sonore et des plantation­s de palmiers silencieus­es à perte de vue, on déplore. Entre violences et injustices pour intimider et tergiversa­tions politiques pour venir en aide, on enrage. A travers le combat de cette mère pour sauver son fils, on vibre. Et pour finir, on se jure au moins de vérifier comme elle s’il n’y a pas de cette maudite huile dans les produits qu’on achète.

«C’est la seule chose que je puisse conseiller, conclut notre cinéaste. Agir en «consommact­eur» et faire pression pour que le gouverneme­nt prenne de bonnes décisions, comme c’est justement arrivé en France pour exclure l’huile de palme de nos biocarbura­nts.»

«La Promesse verte», d’Edouard Bergeon (France, 2024), avec Alexandra Lamy, Félix Moati, Sofian Khammes, Julie Chen, Antoine Bertrand, Philippe Torreton, 2h04. Sortie le 27 mars.

 ?? ?? Martin (Félix Moati) incarne un jeune activiste français parti documenter la déforestat­ion massive à Bornéo. Sa mère (Alexandra Lamy), va tout tenter pour le faire libérer de prison, à la suite des accusation­s de trafic de drogue qui pèsent sur lui. (Filmcoopi)
Martin (Félix Moati) incarne un jeune activiste français parti documenter la déforestat­ion massive à Bornéo. Sa mère (Alexandra Lamy), va tout tenter pour le faire libérer de prison, à la suite des accusation­s de trafic de drogue qui pèsent sur lui. (Filmcoopi)

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