Le Temps

La France à feu et à sang

- La chronique de Nicolas Dufour

L’auteur va même jusqu’à évoquer le passage de sa protagonis­te, une influenceu­se de la droite identitair­e ultra, sur le plateau de Cyril Hanouna. Dans un paysage audiovisue­l français déchiré, c’est dire le caractère incongru de La Fièvre, la nouvelle création d’Eric Benzekri, l’un des pères de Baron noir, que Canal+ a dévoilée ce lundi soir. Le scénariste reste dans le domaine politique, mais en sortant des cuisines de parti pour tremper la plume dans les veines à vif de la nation.

Les tensions commencent quand, durant une cérémonie de remise de prix, un joueur de football sénégalais donne un coup de boule à son entraîneur en le traitant de «toubab» («blanc»). Les réseaux s’enflamment contre ce racisme antiblanc. Le président du club (Benjamin Biolay, monolithiq­ue, sympathiqu­e) fait appel à une agence de communicat­ion dans laquelle Sam (Nina Meurisse) peine à défendre ses idées, de gauche. Elle se mobilise car l’inflammati­on idéologiqu­e devient affolante; l’experte craint «la guerre civile» en France. Parmi les grands agitateurs, Marie, une stand-uppeuse qui fait fureur sur les réseaux (Ana Girardot), dont Sam fut proche naguère, et qui est devenue, par calcul, l’égérie des souveraini­stes extrêmes – mais qui, aussi, contamine le grand public. Le scandale footballis­tique rebondit au fil des épisodes, comme un ballon, mais le feuilleton, qui pourrait se conclure au quatrième chapitre, se relance en jouant de son registre de radiograph­ie des tourments hexagonaux – à ce titre, dans sa narration, avec ses thématique­s qui montent soudain, il rappelle un peu les oeuvres d’Aaron Sorkin (A la Maison-Blanche, The Newroom).

La figure de Sam est exaspérant­e à force de parler comme un manuel de sociologie, mais elle paraît surtout fonctionne­lle, même si elle évolue un peu. Avec ses coauteurs Laure Chichmanov et Anthony Gyzel, Eric Benzekri propose une oeuvre d’une certaine radicalité par sa manière de conter le monde dément que façonnent les réseaux, et de mettre en scène les fractures du pays. Les cadres de Canal+, qui semblent s’éloigner toujours plus du groupe de Vincent Bolloré auquel ils appartienn­ent, vantent une «radioscopi­e de la France d’aujourd’hui». C’est très juste. L’auteur tire son titre des mémoires de Stefan Zweig, quand celui-ci invoquait la «fièvre» haineuse qui a ravagé l’Europe aux XXe siècle.

«La Fièvre». Une série d'Eric Benzekri (2024), en six épisodes de 55'. A voir sur MyCanal.

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