Allô Mars? Ici Genève
Parlons pour une fois d’une actualité brûlante: avant-hier, les Bibliothèques municipales (BM) de Genève ont mis en ligne un podcast baladeur qui vous emmène, de la rue de la Confédération au parc des Bastions en passant par la rue JeanViolette, sur les traces d’Elise Müller (1861-1929). Sous le pseudonyme d’Hélène Smith, Elise Müller devint au tournant du XXe siècle une médium de renommée internationale. Une «superstar surnaturelle», comme la décrit Nic Ulmi, réalisateur du podcast: célébrée outre-Atlantique, révérée par les surréalistes, elle entretint un long compagnonnage avec le psychologue Théodore Flournoy (1854-1920), connu pour avoir introduit la psychanalyse en terres romandes (et un personnage que, pour la petite histoire, C. G. Jung considérait comme un «mentor»).
Les écrits de Flournoy donnent un aperçu des pouvoirs d’Hélène/Elise: «Mlle Smith […] voit une étoile qui grandit, grandit toujours […] Hélène sent qu’elle monte […E] lle distingue trois énormes globes, dont un très beau. «Sur quoi est-ce que je marche?» demande-t-elle. Et la table de répondre: «Sur une terre, Mars.» Consigné dans Des Indes à la planète Mars. Etude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie (publié par Flournoy en 1900), ce voyage interplanétaire et spirite (c’est la raison pour laquelle une table se met à parler) eut lieu à la fin 1894 et utilisa comme pas de tir le domicile d’Auguste Lemaître, professeur au Collège de Carouge. Hélène en ramena des textes écrits en martien (on y apprend entre autres que, là-haut, notre Terre se nomme «Béniel»), calligraphiés par ellemême, et qui d’ailleurs intéressèrent beaucoup un autre invité à ces séances de spiritisme: Ferdinand de Saussure – il trouvera, dit-on, dans cette novlangue quelques-unes des idées qui l’amèneront à fonder la linguistique moderne. Hélène Smith avait bien d’autres cordes à son arc. Elle dessinait et peignait ses visions, elle plongeait dans des vies antérieures (elle fut Simandini, une princesse indienne du XVe siècle); elle conversait aussi de temps à autre avec l’âme de Victor Hugo (qui luimême, adepte également du spiritisme, dialoguait fréquemment avec le Christ). C’est ce parcours particulièrement riche que donne à (re)découvrir le podcast des BM, avec un art du récit (mention spéciale au chapitre consacré à l’enfance d’Elise Müller et à l’esprit protecteur, le sévère mais bienveillant Léopold, qu’elle invoquera toujours en cas de coup dur) et un sens de la vulgarisation et de la contextualisation historique et sociologique parfaitement consommés. ■