Le Temps

Poèmes pour passer la nuit

-

Chez Jacques Probst, la simplicité ouvre la porte aux émotions. Les textes réunis ici permettent de se prémunir du vent d’hiver et de la peur

De manière inespérée, Jacques Probst nous envoie de ses nouvelles: une poignée de poèmes crépuscula­ires, à la fois apparemmen­t légers (pour leurs rimes, leur fraîcheur, leur fausse candeur) et d’une noirceur totale.

Comédien et auteur dramatique, notamment de l’inoubliabl­e monologue Torito (à relire dans le poche Huit monologues, paru chez Campiche en 2005), le Genevois avait disparu de la circulatio­n après avoir lu en public les très beaux et prometteur­s extraits d’un nouveau roman, attendu avec ferveur, annoncé depuis des années, mais qu’il s’est gardé de faire parvenir à son éditeur.

En guise d’excuse peut-être, il nous fait cadeau de quelques feuillets, comme un talisman, un viatique pour traverser la nuit et l’hiver. Ils sont dédiés à sa fille aînée, Marie, également comédienne, et datés de 2013 à 2022. Ils rappellent la mélancolie et la pureté d’un François Villon. Ces derniers souffles de voix, venus des confins, sont joueurs, jamais pesants, et répartis en deux sections intitulées ironiqueme­nt «Prologue 1» et «Prologue 2» . Comme si la vie à son terme n’était encore qu’une ébauche.

La malice d’un Rembrandt

Evocations de l’hiver, de la mort de Schubert, de celle de Pouchkine: quelques mots suffisent à l’auteur pour raconter des histoires vastes comme le monde. «Le dernier tigre blanc», «Le dernier des Cherokees», ce «vieux vagabond» qui a égaré jusqu’à son baluchon, ce «Prométhée vieillissa­nt» qui donne son foie à manger aux moineaux, c’est toujours lui, le poète, qui se met en scène dans ces autoportra­its. Il a la malice d’un Rembrandt, qui se déguise en prince alors qu’il est ruiné et qu’il a perdu les siens. Ce qui reste, lorsque tout s’est évanoui, que la voix s’est usée au point que les murs n’en renvoient plus l’écho, c’est un «obscur bonheur d’être au monde».

Rien de misérable, au contraire, mais toute la force de la fragilité et du dépouillem­ent. De fulgurante­s élégances au bord du vide, comme un clin d’oeil, une accolade, à nous tous qui serons un jour face au crépuscule. Peut-être que la même scène exactement nous attend, telle qu’elle est racontée dans les ultimes pages du recueil: le poète lessivé, sans un sou, chute sur le trottoir au sortir d’une gargote nommée «Divino-bar», tristement égaillé par la rengaine bégayante d’un piano mécanique, sous le regard d’une barmaid superbe aux airs de panthère et à la voix tragique. J. B.

 ?? ?? Genre Poésie
Auteur Jacques Probst
Titre Poèmes pour Marie
Editions Bernard Campiche
Pages 46
Genre Poésie Auteur Jacques Probst Titre Poèmes pour Marie Editions Bernard Campiche Pages 46

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland