Tenir le néant à distance
Dans «comme après», Matthieu Mégevand explore les traces laissées par une maladie grave traversée à l’âge de 21 ans
Cela commence à la façon d’un roman aux faux airs baroques et c’est réussi. Dans Comme après, Matthieu Mégevand revient sur l’épisode traumatique du lymphome de Hodgkin ou cancer des ganglions qu’il a développé à l’âge de 21 ans. Une expérience qu’il avait déjà abordée en 2016 dans Les Lueurs
(L’Age d’homme), un titre qui faisait à la fois référence aux éclats de la mémoire et aux moments lumineux qui avaient malgré tout ponctué le tête-à-tête avec le mal. Comme après pourrait être sous-titré Les Traces tant ce récit observe, à vingt ans de distance, ce que la maladie a laissé comme empreinte sur celui qui, entre-temps, est devenu père.
Le début met en scène avec ironie le monde à part que constitue l’hôpital, théâtre énigmatique et ritualisé. L’auteur se décrit dans la «petite salle ouatée par la peur» où il recevait la chimiothérapie, «poche gonflée de liquide rouge, incarnat, cinabre, rubis, poche enflée de matière visqueuse et mauve qui dégoutte par une tubulure transparente jusque dans la veine.» Semi-allongé sur un fauteuil, ses «bras sont tendus en avant, posés sur de gros accoudoirs, les paumes tournées vers le ciel comme pour supplier».
Pour traduire la dépendance des malades face aux médecins, le vocabulaire mythologique et religieux est convoqué: «Des femmes drapées de blanc errent entre les fauteuils […], j’ignore si ce sont des goules ou des anges», «Parfois un demi-dieu passe la porte. Il est grand, ténébreux, nonchalant mais précis, déambule d’un fauteuil à l’autre […], d’un geste balaie une angoisse, d’une parole délivre d’une crainte. […] Son savoir doit nous délivrer du mal. Nous l’écoutons. Prions pour qu’il nous adresse un regard […].»
Allègement et ancrage
Mais le coeur du texte explore avant tout «l’après», ce temps qui s’ouvre une fois la rémission établie. Il ne s’agit pas d’une fin, précise d’emblée Matthieu Mégevand mais d’un début, «à ce moment-là un autre récit s’enclenche». C’est l’extérieur, le monde, qui devient un théâtre où le tout jeune homme qui a eu peur de mourir n’arrive plus à intégrer la «grande comédie» sociale: «C’est comme si on me jetait sur une scène. Que j’étais poussé soudain des coulisses jusque sur l’estrade. Sauf que je ne me souviens ni de mon texte, ni de mon rôle.»
A partir de ce désarroi, Matthieu Mégevand reparcourt le chemin qui l’a mené de la vingtaine à aujourd’hui, en pointant ce que la maladie a permis, a ouvert. S’interrogeant sur son incapacité à couper avec ce souvenir traumatique de plus en plus transformé à mesure que le temps passe, lucide sur «l’indécence qu’il peut y avoir à ressasser, encore et encore […] sur cette maladie» dont il a pourtant guéri alors que d’autres pas, il dépeint un double mouvement à la fois d’allègement et d’ancrage, lesté par la paternité et la littérature, deux boucliers fragiles mais imparables face au néant.
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Lisbeth Koutchoumoff Arman
Matthieu Mégevand présente son livre le mercredi 27 mars, à 18h, à la librairie Le Temps d’un Livre,
13 rue Du-Roveray, à Genève.