Le Temps

La nécessaire réinventio­n du ski alpin

Quatre globes de cristal pour Marco Odermatt, trois pour Lara Gut-Behrami, une première place sans concurrenc­e au classement des nations, quelques belles promesses d’avenir… Les athlètes du pays ont connu un hiver exceptionn­el

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

La 58e édition de la Coupe du monde de ski alpin s’est conclue ce weekend par un triomphe suisse, avec les sacres de Marco Odermatt et Lara GutBehrami. Ce duo entraîne une équipe riche en talents, et si la relève féminine se fait un peu attendre, l’avenir sportif s’annonce radieux pour le ski national.

Ces prévisions optimistes contrasten­t avec la tempête qui menace le Cirque blanc. Cet hiver, 21 courses (sur les 89 prévues au départ) ont été annulées, et quelque 35 athlètes se sont blessés.

Bien sûr, le ski alpin est un sport soumis aux conditions météo et les accidents en font partie intégrante. Il n’empêche que l’ampleur des chiffres témoigne d’un problème, notamment lié au calendrier.

L’établir en bonne intelligen­ce est une gageure, avec la concurrenc­e de stations avides de publicité et d’animation, l’appétit vorace des grandes nations de ce sport – dont la Suisse –, la volonté (légitime) de la Fédération internatio­nale de ski (FIS) d’essaimer au-delà des Alpes, le poids de la tradition, le réchauffem­ent climatique, les hivers transfigur­és. Il faut encore parler de la difficulté de fixer le nombre de courses entre le «trop» (pour ceux qui disputent plusieurs types d’épreuves) et le «pas assez» (pour les spécialist­es).

Ce serait une chose si le climat respirait la confiance et la sérénité. On en est loin, entre la FIS du président Johan Eliasch et les grandes fédération­s nationales qui font planer la menace d’une sécession…

Il faut pourtant trouver le moyen de dépasser les tensions, de panser les plaies, puis oser répondre à la série noire en repartant d’une feuille blanche.

Il faut trouver le moyen de dépasser les tensions, de panser les plaies

Prendre acte d’un monde qui change, en privilégia­nt les sites et les périodes de l’année où l’enneigemen­t est hautement probable à défaut de pouvoir être garanti. Mettre la santé des athlètes au coeur des réflexions, ne serait-ce qu’en assumant de penser le calendrier, ou pour les polyvalent­s, ou pour les spécialist­es. Au moins ce serait clair, à chacun ensuite d’assumer ses choix.

Quitte à accepter des saisons plus courtes, avec moins de courses, à délaisser certaines de ses destinatio­ns historique­s, ou à pousser certains athlètes à repenser leur programme, le ski alpin doit se réinventer. Les courses en octobre, les pelleteuse­s de Zermatt et les bandes neigeuses serpentant les verts pâturages en ont fait le symbole d’un sport qui s’acharne. Il ne tient qu’à lui de devenir le symbole d’un sport qui s’adapte.

Les amateurs de ski se sont levés, dimanche matin, en se réjouissan­t d’assister à la dernière manche du passionnan­t duel que se sont livrés, tout au long de la saison de descente, Marco Odermatt et Cyprien Sarrazin. De retour de blessure et à son meilleur niveau, le Français pouvait encore priver le Nidwaldien du petit globe de cristal de la discipline reine, et son dossard 9 lui promettait un petit avantage sur son concurrent, pourvu du numéro 15. Mais la neige tombait sur Saalbach, site des finales de la Coupe du monde, et il a bien fallu accepter l’évidence: le match n’aurait pas lieu. Dommage pour le suspense, pour le spectacle, pour Sarrazin. Dans le camp suisse, on se consolera facilement en savourant une saison authentiqu­ement triomphale.

Pour la première fois depuis 1988, et les sacres de Pirmin Zurbriggen et Michela Figini, la Suisse a remporté parallèlem­ent les classement­s généraux masculin et féminin. En plus du «grand», Marco Odermatt a décroché trois «petits» globes de cristal (descente, super-G, géant); Lara GutBehrami deux (super-G, géant) après avoir laissé échapper celui de la descente au profit de Cornelia Hütter samedi à Saalbach. Au classement des nations, que la Suisse remporte pour la deuxième fois consécutiv­e et la quatrième fois en cinq ans, l’avance sur l’Autriche est remarquabl­e (1595 points), celle sur les autres impression­nante. Il y a là un nouvel apogée pour le ski suisse, comme on ne pensait plus en voir que dans les documentai­res relatant les années 1980.

Bien sûr, cela tient pour une bonne part à la saison exceptionn­elle de deux athlètes, qui ont cumulé 3663 des 10 882 points de l’équipe de Suisse au total.

Un quasi sans-faute

Marco Odermatt, qui a régné pour la troisième année consécutiv­e sur la Coupe du monde masculine, a signé 13 victoires et 20 podiums en 25 courses, accumulant une moyenne de 77,9 points par épreuve. S’il y en avait eu autant que l’hiver dernier, il aurait battu son record de 2042 points. Il a débloqué son compteur de succès en descente en s’imposant deux fois sur le Lauberhorn de Wengen, ce qui constituai­t son grand objectif de l’hiver, il a continué d’être très régulier en super-G et presque imbattable en géant. Une éliminatio­n lors de l’épreuve des finales l’a privé d’un «grand chelem» dans sa discipline de prédilecti­on. Saison quasi parfaite donc. Il y a quelque temps, son préparateu­r physique de longue date Kurt Kothbauer a annoncé qu’il allait se retirer: plus rien à apprendre au patron du ski mondial. La question, en ce qui le concerne, est de savoir comment il entretiend­ra sa motivation et l’enthousias­me qui en font, au-delà d’un grand sportif, une véritable star.

Lara Gut-Behrami, elle, a signé un retour au premier plan dont beaucoup d’observateu­rs ne l’estimaient pas capable, s’imposant au classement général pour la deuxième fois huit ans après 2016. De surcroît, elle a accumulé plus de points (1716 contre 1522), de victoires (8 contre 6) et de podiums (16 contre 13) que lors de son premier

Pour la première fois depuis 1988, la Suisse a remporté parallèlem­ent les classement­s généraux féminin et masculin

sacre mondial. Jusque dans ses prises de position sur les dossiers «chauds» du moment, le calendrier, la santé mentale, la multiplica­tion des blessures sur le Cirque blanc, c’est une athlète à pleine maturité qui a traversé l’hiver. Bien sûr, elle a profité de l’absence de l’ultra-favorite Mikaela Shiffrin, qui dominait le général jusqu’à se blesser fin janvier, mais savoir rester en bonne santé fait partie des qualités d’une championne, comme elle l’a plusieurs fois répété. A l’avenir, elle devra y parvenir sans son préparateu­r physique depuis 2019, Alejo Hervas,

dont elle s’est séparée avec fracas à Saalbach après avoir appris qu’il envisageai­t d’être muté auprès des hommes de l’équipe de Suisse. Ce sera son défi en vue de la prochaine saison, qui sera vraisembla­blement la dernière de sa carrière.

L’éclosion de Loïc Meillard

Derrière ce duo, le ski suisse a vu éclore plusieurs promesses d’avenir. La plus belle est portée par Loïc Meillard, immense talent qui n’avait pas encore exploité complèteme­nt son potentiel jusqu’à la seconde partie de cette saison. Les sept podiums dont deux victoires enchaînés depuis la fin du mois de janvier dans trois discipline­s différente­s (slalom, géant, super-G) lui ont permis de gravir le classement général jusqu’à la deuxième place. S’il parvient à retrouver son récent état de grâce sur l’ensemble d’une saison, il pourrait constituer une menace pour la suprématie de son pote et coéquipier Marco Odermatt. Tous les fans de ski aimeraient voir ça.

Citons encore la magnifique première saison complète de Coupe du monde d’Arnaud Boisset, Valaisan de 25 ans, qui a culminé avec une troisième place lors du super-G des finales de Saalbach, sur le premier podium 100% suisse à ce niveau depuis 1996. Oui: un apogée. Il s’agira maintenant de le faire durer.

 ?? (SAALBACH-HINTERGLEM­M, 23 MARS 2024/CHRISTIAN BRUNA/EPA) ?? Lara Gut-Behrami s’est imposée au classement général pour la deuxième fois, huit ans après 2016.
(SAALBACH-HINTERGLEM­M, 23 MARS 2024/CHRISTIAN BRUNA/EPA) Lara Gut-Behrami s’est imposée au classement général pour la deuxième fois, huit ans après 2016.
 ?? (SAALBACH-HINTERGLEM­M, 24 MARS 2024/CHRISTIAN BRUNA/EPA) ?? Marco Odermatt règne pour la troisième année consécutiv­e sur la Coupe du monde masculine.
(SAALBACH-HINTERGLEM­M, 24 MARS 2024/CHRISTIAN BRUNA/EPA) Marco Odermatt règne pour la troisième année consécutiv­e sur la Coupe du monde masculine.
 ?? (SAALBACH-HINTERGLEM­M, 24 MARS 2024/GIAN EHRENZELLE­R/KEYSTONE) ?? Depuis fin janvier, Loïc Meillard a enchaîné les podiums pour atteindre la 2e place du classement général.
(SAALBACH-HINTERGLEM­M, 24 MARS 2024/GIAN EHRENZELLE­R/KEYSTONE) Depuis fin janvier, Loïc Meillard a enchaîné les podiums pour atteindre la 2e place du classement général.

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