Un audit doute de l’égalité des chances dans les collèges genevois
Un rapport confidentiel que s’est procuré «Le Temps» pointe l’absence de critères uniformisés en matière de promotion par dérogation ou de redoublement. Le Département de l’instruction publique se refuse à tout commentaire
Un élève genevois en difficulté a-t-il les mêmes chances d’obtenir une promotion par dérogation ou un redoublement, quel que soit le collège dans lequel il se trouve? Est-il sûr de bénéficier d’une formation de même qualité d’un établissement à l’autre? Selon un audit interne à l’Etat que Le Temps s’est procuré, la réponse à ces deux questions est non. Parmi les autres lacunes pointées dans ce rapport confidentiel qui n’a pas encore été publié, une évaluation des enseignants insuffisante ou encore une absence de centralisation des notes dans un même système informatique, ce qui induit des risques de perte ou de modification des résultats a posteriori.
Voilà un an que le Service d’audit interne de l’Etat de Genève, relié au Département des finances, travaille à cette évaluation de la filière gymnasiale. Un audit «de performance» dans le jargon. Il a débouché sur 13 observations, classées par ordre d’importance de 1 à 4. Les quatre constats mentionnés ci-dessus sont considérés comme prioritaires, soit de niveau 3. En filigrane, c’est toute l’efficience de la filière qui est auscultée, Genève comptabilisant le taux d’échec le plus élevé de Suisse: 27% des élèves sont toujours sans maturité cinq ans après avoir intégré le collège, contre 16% à Fribourg, 13% dans le canton de Vaud ou encore 6% à Zurich.
Une «marge de manoeuvre importante»
En matière d’égalité de traitement, l’audit relève que les conditions permettant aux élèves de bénéficier d’une promotion par dérogation ou d’un redoublement ne sont pas identiques au sein des 11 établissements du canton. Il arrive même qu’elles «ne soient tout simplement pas fixées». De fait, les directions d’établissement disposent d’une «marge de manoeuvre importante». Ici, les redoublements sont envisagés si l’élève obtient quatre notes inférieures à la moyenne au maximum. Là, cette tolérance est étendue jusqu’à six notes. Idem pour l’entrée en matière: dans certains collèges, seul le responsable de groupe peut la proposer, dans d’autres, tous les enseignants ayant eu l’élève en classe disposent de cette prérogative, ainsi que le doyen. Afin de garantir une égalité de traitement, l’audit recommande d’instaurer des critères communs, valides et fiables pour gérer ces situations.
Le manque d’équité dans la qualité de l’enseignement est également épinglé. Selon le rapport, le système actuel ne permet pas au Département de l’instruction publique (DIP) de «garantir que pour un élève donné, la probabilité d’obtenir une maturité et de poursuivre avec succès ses études au niveau tertiaire ne soit pas influencée par l’établissement auquel il a été rattaché». Des différences sont notamment constatées dans les politiques d’acquisition du matériel, la préparation aux examens de maturité ou encore l’évaluation des élèves en particulier dans les établissements mixtes qui regroupent un collège et une école de commerce. Sont-elles liées à un contexte socio-économique ou au hasard des directions? Le rapport ne donne pas de réponse définitive, mais relève que les établissements n’ont pas de «réel devoir de rendre des comptes». Pour y remédier, l’audit suggère de mettre en oeuvre un système de contrôle interne.
En outre, les notes des élèves sont conservées par les enseignants selon les modalités de leur choix. Ainsi, il est arrivé «à plusieurs reprises que des maîtres remontent leurs élèves aux épreuves regroupées après avoir fait valider leur correction par le doyen responsable de la discipline», observent les auditeurs. Une situation qui induit un «risque d’inégalité de traitement et un risque d’image pour l’Etat».
«Acte administratif»
Le manque d’équité dans la qualité de l’enseignement est également épinglé
En ce qui concerne l’évaluation du corps enseignant, les constats sont particulièrement sévères. L’audit relève en effet que les entretiens actuels «ressemblent davantage à un acte administratif qu’à un levier favorisant la qualité de l’enseignement». «Les objectifs pour la période à venir ne sont généralement pas formulés conformément aux exigences de l’Etat», ajoute le rapport. Conséquence: les écarts entre les prestations attendues et celles effectivement délivrées sont difficiles à identifier. En cas de dérapage, «l’Etat ne possède pas systématiquement les éléments nécessaires pour sanctionner une personne dont les dysfonctionnements s’inscrivent dans le temps». Pour combler ces lacunes, l’audit suggère de clarifier le mode d’évaluation afin de «garantir l’objectivité de la démarche».
En conclusion, les auditeurs indiquent que les «marges d’amélioration du système actuel devront être traitées par l’administration genevoise dans un horizon de temps relativement court en raison du projet de réforme de la maturité qui imposera bientôt à chaque canton la mise en place d’un système de gestion de la qualité». Une initiative menée au niveau fédéral qui vise à faire en sorte que la formation gymnasiale réponde aux «exigences de demain».
Dans la version du rapport en notre possession, les réponses des différentes entités contrôlées, à savoir la direction générale de l’Enseignement secondaire II ou encore la Conférence des directrices et directeurs d’établissement, ne sont pas encore mentionnées. Sollicitée par Le Temps pour une prise de position générale sur la teneur de l’audit, la cheffe du DIP Anne Hiltpold n’a pas souhaité faire de commentaire.
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