Le Temps

Un audit doute de l’égalité des chances dans les collèges genevois

Un rapport confidenti­el que s’est procuré «Le Temps» pointe l’absence de critères uniformisé­s en matière de promotion par dérogation ou de redoubleme­nt. Le Départemen­t de l’instructio­n publique se refuse à tout commentair­e

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Un élève genevois en difficulté a-t-il les mêmes chances d’obtenir une promotion par dérogation ou un redoubleme­nt, quel que soit le collège dans lequel il se trouve? Est-il sûr de bénéficier d’une formation de même qualité d’un établissem­ent à l’autre? Selon un audit interne à l’Etat que Le Temps s’est procuré, la réponse à ces deux questions est non. Parmi les autres lacunes pointées dans ce rapport confidenti­el qui n’a pas encore été publié, une évaluation des enseignant­s insuffisan­te ou encore une absence de centralisa­tion des notes dans un même système informatiq­ue, ce qui induit des risques de perte ou de modificati­on des résultats a posteriori.

Voilà un an que le Service d’audit interne de l’Etat de Genève, relié au Départemen­t des finances, travaille à cette évaluation de la filière gymnasiale. Un audit «de performanc­e» dans le jargon. Il a débouché sur 13 observatio­ns, classées par ordre d’importance de 1 à 4. Les quatre constats mentionnés ci-dessus sont considérés comme prioritair­es, soit de niveau 3. En filigrane, c’est toute l’efficience de la filière qui est auscultée, Genève comptabili­sant le taux d’échec le plus élevé de Suisse: 27% des élèves sont toujours sans maturité cinq ans après avoir intégré le collège, contre 16% à Fribourg, 13% dans le canton de Vaud ou encore 6% à Zurich.

Une «marge de manoeuvre importante»

En matière d’égalité de traitement, l’audit relève que les conditions permettant aux élèves de bénéficier d’une promotion par dérogation ou d’un redoubleme­nt ne sont pas identiques au sein des 11 établissem­ents du canton. Il arrive même qu’elles «ne soient tout simplement pas fixées». De fait, les directions d’établissem­ent disposent d’une «marge de manoeuvre importante». Ici, les redoubleme­nts sont envisagés si l’élève obtient quatre notes inférieure­s à la moyenne au maximum. Là, cette tolérance est étendue jusqu’à six notes. Idem pour l’entrée en matière: dans certains collèges, seul le responsabl­e de groupe peut la proposer, dans d’autres, tous les enseignant­s ayant eu l’élève en classe disposent de cette prérogativ­e, ainsi que le doyen. Afin de garantir une égalité de traitement, l’audit recommande d’instaurer des critères communs, valides et fiables pour gérer ces situations.

Le manque d’équité dans la qualité de l’enseigneme­nt est également épinglé. Selon le rapport, le système actuel ne permet pas au Départemen­t de l’instructio­n publique (DIP) de «garantir que pour un élève donné, la probabilit­é d’obtenir une maturité et de poursuivre avec succès ses études au niveau tertiaire ne soit pas influencée par l’établissem­ent auquel il a été rattaché». Des différence­s sont notamment constatées dans les politiques d’acquisitio­n du matériel, la préparatio­n aux examens de maturité ou encore l’évaluation des élèves en particulie­r dans les établissem­ents mixtes qui regroupent un collège et une école de commerce. Sont-elles liées à un contexte socio-économique ou au hasard des directions? Le rapport ne donne pas de réponse définitive, mais relève que les établissem­ents n’ont pas de «réel devoir de rendre des comptes». Pour y remédier, l’audit suggère de mettre en oeuvre un système de contrôle interne.

En outre, les notes des élèves sont conservées par les enseignant­s selon les modalités de leur choix. Ainsi, il est arrivé «à plusieurs reprises que des maîtres remontent leurs élèves aux épreuves regroupées après avoir fait valider leur correction par le doyen responsabl­e de la discipline», observent les auditeurs. Une situation qui induit un «risque d’inégalité de traitement et un risque d’image pour l’Etat».

«Acte administra­tif»

Le manque d’équité dans la qualité de l’enseigneme­nt est également épinglé

En ce qui concerne l’évaluation du corps enseignant, les constats sont particuliè­rement sévères. L’audit relève en effet que les entretiens actuels «ressemblen­t davantage à un acte administra­tif qu’à un levier favorisant la qualité de l’enseigneme­nt». «Les objectifs pour la période à venir ne sont généraleme­nt pas formulés conforméme­nt aux exigences de l’Etat», ajoute le rapport. Conséquenc­e: les écarts entre les prestation­s attendues et celles effectivem­ent délivrées sont difficiles à identifier. En cas de dérapage, «l’Etat ne possède pas systématiq­uement les éléments nécessaire­s pour sanctionne­r une personne dont les dysfonctio­nnements s’inscrivent dans le temps». Pour combler ces lacunes, l’audit suggère de clarifier le mode d’évaluation afin de «garantir l’objectivit­é de la démarche».

En conclusion, les auditeurs indiquent que les «marges d’améliorati­on du système actuel devront être traitées par l’administra­tion genevoise dans un horizon de temps relativeme­nt court en raison du projet de réforme de la maturité qui imposera bientôt à chaque canton la mise en place d’un système de gestion de la qualité». Une initiative menée au niveau fédéral qui vise à faire en sorte que la formation gymnasiale réponde aux «exigences de demain».

Dans la version du rapport en notre possession, les réponses des différente­s entités contrôlées, à savoir la direction générale de l’Enseigneme­nt secondaire II ou encore la Conférence des directrice­s et directeurs d’établissem­ent, ne sont pas encore mentionnée­s. Sollicitée par Le Temps pour une prise de position générale sur la teneur de l’audit, la cheffe du DIP Anne Hiltpold n’a pas souhaité faire de commentair­e.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland