Le Temps

Jeu de rôles en équipe de Suisse de football

Tous les internatio­naux assument des responsabi­lités au sein de leur club. En sélection, certains doivent forcément accepter une mission moins en vue sans faire d’histoire. La préparatio­n de l’Euro, commencée samedi par un nul 0-0 au Danemark, sert aussi

- L. PT

Longtemps, avec Xherdan Shaqiri en équipe de Suisse, la question n’a pas été de savoir «si» il devait jouer mais «où». Numéro 10, à la baguette du jeu offensif? Sur le côté droit, pour pouvoir rentrer sur son pied gauche magique? N’importe où, avec une liberté d’action totale pour surprendre l’adversaire? La réponse a varié selon les époques et les sélectionn­eurs. Mais samedi, l’attaquant de poche a patienté sur le banc jusqu’à la 76e minute d’un match fermé contre le Danemark (0-0).

Dans d’autres situations, cela aurait pu être une mesure d’économie pour un joueur souvent en proie à des pépins physiques. Pour le premier match d’une année 2024 qui culminera avec le Championna­t d’Europe des nations cet été en Allemagne, après une pleine semaine d’entraîneme­nt en Espagne, le scénario avait valeur de message. Dans l’esprit de Murat Yakin, Shaqiri est désormais un joker davantage qu’un titulaire. Parce qu’il a 32 ans. Parce qu’il ne joue que dans une équipe moyenne de la MLS nord-américaine. A lui désormais de montrer que cela lui convient. Mieux: qu’il peut être bon dans ces circonstan­ces.

Au-delà des spécificit­és de chacun, il existe quelques vérités communes à tous les sports collectifs. C’est ainsi que les paroles entendues il y a quelques semaines de la bouche d’Andy Schmid, nouveau sélectionn­eur de l’équipe de Suisse de handball, décrivent précisémen­t la situation qui nous intéresse ici. «Dans leur club, mes joueurs assume chacun de grandes responsabi­lités, expliquait l’homme, véritable légende de sa discipline. En équipe nationale, certains doivent accepter des tâches moins en vue, un statut de remplaçant, et ce n’est pas forcément facile quand on n’en a pas l’habitude.»

Médiation et encouragem­ents

L’identité des titulaires et la hiérarchie pour chaque poste évoluent bien sûr dans le temps. Les entraîneur­s aiment à dire que rien n’est figé, que le processus est dynamique. A l’approche d’un grand tournoi, il est pourtant préférable de prendre certaines précaution­s. Le groupe va vivre dans sa bulle pendant plus d’un mois. La frustratio­n des uns peut parasiter la sérénité de tous. Il est important que chacun sache exactement pourquoi il est là. Ce que le coach attend de lui. S’il est prêt à s’engager sans arrière-pensée pour le satisfaire.

Il y a 8 ans, Vladimir Petkovic avait créé la surprise lors du premier rassemblem­ent de l’année 2016 en se passant des services de Gökhan Inler, qui portait encore le brassard de capitaine en novembre 2015. En neuf ans de Nati, le milieu défensif avait pratiqueme­nt toujours été titulaire. Son sélectionn­eur sentait que le moment était venu d’opérer un changement de génération, de confier les rênes à Granit Xhaka, et il a estimé qu’un Inler remplaçant lui offrirait moins de solutions qu’il ne risquait de poser de problèmes.

Murat Yakin a confié avoir beaucoup parlé de rôle et de statut avec Xherdan Shaqiri

A l’inverse, il y a des éléments dont les sélectionn­eurs savent qu’ils se satisferon­t pleinement d’une place dans le groupe. Qu’ils ne se plaindront pas, voire qu’ils assumeront des tâches de médiation et d’encouragem­ent primordial­es. Dans un passé récent, on peut notamment citer Gelson Fernandes, 67 sélections mais seulement 30 titularisa­tions en onze ans, ou Admir Mehmedi, qui a toujours été décrit comme une personnali­té centrale de la vie de la Nati même quand il n’y était pas le joueur le plus décisif.

La cheville de Yann Sommer

Aujourd’hui, Murat Yakin sait très bien qu’en convoquant Renato Steffen, il pourra compter sur un attaquant heureux de grappiller quelques minutes de jeu en fin de match. Shaqiri? Evidemment, la question se pose. D’un côté, le bonhomme a toujours bénéficié d’un statut spécial en équipe de Suisse. Mais d’un autre côté, il connaît parfaiteme­nt le rôle de joker, qu’il a si souvent exercé au Bayern Munich, à l’Inter Milan, à Liverpool. L’entraîneur Jürgen Klopp l’«adorait» même s’il ne le faisait pas énormément jouer. Preuve du coeur que le joueur mettait à la tâche quotidienn­e. Gageons qu’il peut en aller de même avec l’équipe de Suisse.

Lors de l’annonce de sa première «liste» de l’année, Murat Yakin a confié avoir beaucoup parlé de rôle et de statut avec l’ailier du Chicago Fire. Même démarche auprès de Fabian Schär – un cas différent. Le défenseur central brille à Newcastle, mais il a rarement été très convaincan­t en équipe de Suisse, où Ricardo Rodriguez, Manuel Akanji et Nico Elvedi semblaient avoir l’avantage pour occuper les postes de la défense à trois nouvelleme­nt mise en place. Sauf que… samedi au Danemark, c’est Schär qui a débuté, pas Elvedi. Une chance de montrer ce dont il est capable, sans doute, qu’il a plutôt saisie. Si le match fut assez ennuyeux, c’est notamment parce que, de part et d’autre, les défenses ont signé un match plein.

Dans ce jeu de rôles reste encore la problémati­que des gardiens. On se souvient qu’en 2019, Roman Bürki avait cessé de répondre aux convocatio­ns de Vladimir Petkovic parce qu’il n’était plus prêt à remplir les tâches de doublure. On sait la frustratio­n de Gregor Kobel dans cette même affectatio­n de numéro 2. Le portier du Borussia Dortmund a quitté le rassemblem­ent de la Nati en début de semaine dernière, officielle­ment pour ne pas prendre de risques après être récemment revenu de blessure. Mais samedi, Yann Sommer s’est tordu une cheville et c’est donc Yvon Mvogo qui était là pour le remplacer – le Fribourgeo­is a été parfait. En fonction de la gravité de la blessure du numéro 1, Murat Yakin aura là fort à faire pour établir une nouvelle configurat­ion qui convienne à tous.

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