Le Temps

Crème Solaire, duo à plein tube

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_nb

Le groupe fribourgeo­is, dont l’électro-punk a la réputation d’enfiévrer les scènes, sortait son troisième album vendredi dernier. Une bande-son débridée qui invite à se révolter dans la joie et à danser sans limites

Celles et ceux qui les ont vus à Paléo l’an dernier s’en souviennen­t. Ce mardi de juillet, sous la crête colorée de la scène Bellerive, deux créatures en maquillage­s d’amazones et froufrous jaunes s’agitaient devant une foule particuliè­rement fournie pour la fin d’après-midi. La chaleur n’entamant en rien l’ardeur de ces deux poussins possédés, ils envoûtaien­t à leur tour les festivalie­rs avec leur électro-punk enragée. Il pourrait bien y avoir eu crowdsurfi­ng et escalade d’une poutre métallique.

Ce phénomène à la furie radieuse, c’est Crème Solaire. Le duo fribourgeo­is n’a que quelques années au compteur mais s’est déjà fait une sacrée réputation – le journal allemand Die Zeit le qualifiait l’été dernier de «meilleur groupe live de Suisse». Et pas juste parce qu’il monte le son. Des festivals romands aux squats serbes, Rebecca Solari et Pascal Stoll captivent par leur univers survolté. Pas étonnant que le vernissage de leur troisième album, paru vendredi dernier, affiche complet.

Quand on les rejoint autour d’une table de l’Ancienne Gare, à Fribourg, on leur parle rapidement de leur nom. La crème solaire, ça évoque chez tout le monde des odeurs et des souvenirs d’ailleurs. «On aimait bien que ce soit aussi un truc désagréabl­e, sourit Rebecca. Ça colle, il y a du sable dedans, c’est un peu chiant…» Bref, le tube de tous les contrastes, à l’image de la musique de Crème Solaire, qui cultive des textures changeante­s, où douceur et colère sont exprimées en quatre langues… et souvent en criant.

Crème Solaire est cette plante qui craquelle le bitume et fuit les rayons du mainstream

Ce cocktail improbable est né en 2019 à la Gustav Academy, programme fribourgeo­is de recherche et coaching de talents dans les musiques actuelles. Pascal, guitariste amateur de hip-hop, de métal et de tatouages, vient de finir le collège. Rebecca, diplômée de l’école de photo de Vevey, se destinait à la faculté de philosophi­e et histoire de l’art, si la journée découverte ne l’avait pas découragée. Il est Fribourgeo­is, elle Tessinoise, il est timide, elle explosive, elle aime la variété italienne et lui les machines à rythmes.

Tous deux s’inscrivent aux auditions de l’Academy sans trop y croire, mais voilà qu’ils passent la rampe et qu’on les met ensemble – «parce qu’on était un peu les deux chelous de la bande». Le courant passe immédiatem­ent et pendant un an, ils s’attelleron­t à trouver un langage commun. Ce sera le punk. Pour son côté do it yourself, libertaire et politique aussi. «Il y a cette liberté de s’exprimer en privilégia­nt le message à la technique. On a quelque chose à dire et on prend la place pour le faire.»

Dès les premiers EP, Crème Solaire slame, sur des nappes électros plus ou moins déchaînées, sa révolte face à un monde engoncé dans les normes et le béton. Le deuxième album, Pannenstre­ifen ist ohne Pic-Nic («La bande d’arrêt d’urgence est sans pic-nic»), raconte d’ailleurs cette Suisse, propre et lisse comme ses autoroutes, où tout doit aller vite.

Crème Solaire est cette plante qui craquelle le bitume et fuit les rayons du mainstream. Ses morceaux poussent dans un chaos savamment organisé: Pascal compose la musique, Rebecca les textes, puis ils fusionnent le tout. Pour leur troisième disque, ces «gentils punks», comme ils disent, ont pris leur temps, avant de passer une semaine dans l’hiver tessinois. Les -10 °C les ont inspirés.

S’il porte le nom évocateur de Cemento, l’album se veut cette fois porteur de résistance autant que d’espoir. Comme un appel à s’unir contre l’uniformité, l’aliénation – les 11 morceaux sont d’ailleurs portés par différents personnage­s, des sorcières, des chiens, des fleurs. «On veut vivre heureux, mais on n’est pas d’accord avec plein de choses, souligne Rebecca. Cette ambivalenc­e, plein de gens de notre génération la sentent.»

On retrouve les influences hétéroclit­es du duo, trap, pop ou techno. Les mélodies ici dansantes, là hypnotisan­tes comme le refrain de Calicanti, addictif façon hymne de hockey. Toujours cet esprit piquant décliné en quatre langues (romanche compris!), parfois dans une seule phrase. Pour la blague, mais aussi parce que leurs cerveaux sont polyglotte­s. Ils rigolent: «On dit souvent qu’on fait ça pour les subvention­s, même si ça n’a jamais marché!»

Rebelle, frontale, l’expérience Crème Solaire se vit pleinement en live. Une fête aussi sonore que visuelle où les corps se déchaînent et se libèrent. «Dans ce monde où on a encore souvent meilleur temps d’être sages, on avait envie que nos concerts soient tout l’inverse: qu’on ait le droit d’exagérer, d’être qui on est sans être jugés.» De ces communions qui font exulter et transpirer – heureuseme­nt, la crème en question se réapplique à l’envi.

«Cemento» (Irascible Records).

Vernissage à Lausanne, au Bourg le 28 mars (complet). Concert au Bad Bonn Kilbi de Düdingen, le jeudi 30 mai.

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