Le Temps

L’incurable dossier électroniq­ue du patient

Le Contrôle fédéral des finances a publié hier un nouvel audit sur le projet de dossier médical en ligne, après celui de 2019. En cinq ans, «les problèmes se sont aggravés». Un remède de cheval s’impose, selon l’organe de surveillan­ce

- ANNICK CHEVILLOT, BERNE @chevillot_a

Les mots sont durs et le Contrôle fédéral des finances (CDF) n’y va pas par quatre chemins: «Les problèmes identifiés [lors du premier audit en 2019, ndlr] se sont confirmés et d’autres obstacles fondamenta­ux sont apparus. Mais il y a plus grave encore: les problèmes se sont aggravés. […] Différente­s mesures sont à l’ordre du jour pour y remédier, mais il y a fort à craindre qu’elles ne soient pas suffisante­s.»

Ce qui coince? Le cadre légal. Les principes fondamenta­ux inscrits dans la loi sur le DEP il y a plus de dix ans posent problème. L’organisati­on décentrali­sée du dossier électroniq­ue du patient (DEP) est particuliè­rement visée, comme le précise Thomas Brückner, responsabl­e de la communicat­ion du Contrôle fédéral des finances: «Nous avons constaté que bon nombre des difficulté­s rencontrée­s lors de l’introducti­on du

«De nombreux hôpitaux et EMS ne sont toujours pas affiliés malgré l’obligation légale» THOMAS BRÜCKNER, PORTE-PAROLE DU CONTRÔLE FÉDÉRAL DES FINANCES

DEP étaient justement dues à l’organisati­on décentrali­sée, de droit privé. Ainsi, le CDF recommande de ne pas se contenter d’aborder les nombreux problèmes individuel­s, mais de revenir au principe initial et de se reposer cette question de principe – décentrali­sée ou centralisé­e? – de manière fondée, à la lumière des connaissan­ces actuelles.»

L’organe de contrôle recommande donc «vivement une comparaiso­n systématiq­ue du modèle actuel avec un DEP organisé de manière centralisé­e». L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) est chargé d’étudier la chose, dans le cadre de la révision complète de la loi fédérale sur le dossier électroniq­ue du patient qui est en cours. Le Départemen­t fédéral de l’intérieur «devra certaineme­nt être impliqué dans la mise en oeuvre», souligne encore Thomas Brückner.

Le problème de fond a été reconnu par Alain Berset, ancien ministre chargé de la Santé, en juin 2023. Il a alors engagé un processus de révision complète de la loi et a proposé un changement de paradigme: tout le monde aura son DEP, sauf ceux qui expriment leur désaccord (système «opt-out»). La phase de consultati­on s’est terminée en octobre 2023 et les avis des 26 cantons ont été rassemblés dans un document de 1336 pages. Depuis? Alain Berset a quitté le Conseil fédéral.

Elisabeth Baume-Schneider lui a succédé et hérite d’un dossier épineux qui réunit une foule de mécontents à son chevet et qui vient de recevoir une perfusion de 30 millions de francs. Si les cantons romands se réjouissen­t de cette manne, d’autres auraient bien voulu s’en passer. C’est le cas des cantons de Suisse orientale: Saint-Gall, Thurgovie, Grisons, Schaffhous­e, Glaris et les deux Appenzell, auxquels se sont associés Zurich et le Liechtenst­ein. En décembre dernier, la Conférence de ces gouverneme­nts cantonaux a demandé au Conseil fédéral de «stopper le projet».

Les raisons de leur courroux sont multiples: «Le DEP ne permet pas de freiner la hausse des coûts de la santé et risque même de faire exploser encore les primes maladie. De plus, les erreurs de conception ne sont pas encore corrigées. Le DEP repose sur une technologi­e obsolète et n’est pas utile aux patients.» Des griefs qui rejoignent l’analyse du Contrôle fédéral des finances.

Pas de salut sans centralisa­tion

Et comme si cela ne suffisait pas, la mise en oeuvre du dossier électroniq­ue du patient a pris beaucoup de retard depuis 2019. «De nombreux hôpitaux et EMS ne sont toujours pas affiliés malgré l’obligation légale», constate Thomas Brückner. En avril 2023, 56% des hôpitaux et 67% des EMS n’étaient toujours pas connectés, relève l’audit du gendarme de la Confédérat­ion. Quant aux patients, ils sont tout simplement rétifs à l’outil.

Plus problémati­que encore, le financemen­t des communauté­s de référence n’est pas assuré. Ces communauté­s gèrent les dossiers électroniq­ues du patient et sont certifiées par la Confédérat­ion. En Suisse romande, la plus connue est CARA. Au niveau Suisse, Thomas Brückner relève aussi que «plusieurs d’entre elles ont déjà abandonné ou ont dû être reprises par d’autres».

Le paysage national du DEP ressemble plus à un champ de bataille en voie d’abandon qu’à une offensive concertée et unie. Les dissension­s apparues lors de la dernière session parlementa­ire pour l’octroi d’une enveloppe fédérale de 30 millions ont encore accentué les tensions sur ce dossier. Une certitude se dégage tout de même: «Ce n’est qu’avec la révision de la loi prévue que le DEP pourra être géré avec des données structurée­s ou dynamiques. Il est d’ailleurs prévu de créer un stockage central des données géré par la Confédérat­ion», conclut Thomas Brückner. Mais il faudra encore faire preuve de patience: la révision de cette loi ne devrait pas entrer en vigueur avant 2027.

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