Le 7 octobre alimente la confrontation Nord-Sud
La tragédie du 7 octobre 2023 a suscité dans les relations internationales un séisme aussi important que le 11 septembre 2001: c’est la thèse que développe Gilles Kepel dans son dernier ouvrage, au titre provocateur, Holocaustes. Il ouvre une phase nouvelle dans l’histoire politique contemporaine. Cependant le contexte de l’un et l’autre évènement est différent. Personne ou presque ne se solidarisait avec Ben Laden au lendemain de l’attentat contre les tours de New York et le Pentagone. Les évènements du 7 octobre, que notre auteur qualifie de razzia pour les relier à l’histoire des conquêtes islamiques, sont en partie oubliés devant l’hécatombe à laquelle ont donné lieu les représailles israéliennes. Surtout, ils ont déclenché des mouvements de soutien à travers le monde qui remettent en cause la légitimité de l’Etat d’Israël.
Dans sa «géopolitique d’un massacre», l’auteur relève que mystique et politique sont les ingrédients indissociables de ces boucheries. Les pogroms du 7 octobre ont cristallisé une situation latente: la dimension politique du problème palestinien était écartée par la recherche d’une solution économique. Les Accords d’Abraham, qui se référaient pour la forme à la Palestine, ont été conclus entre Israël et six pays arabes sans faire progresser la cause palestinienne. Le 7 octobre a été interprété comme un rappel à l’ordre, soit la nécessité de régler enfin la question d’un Etat palestinien, non seulement dans la région mais également auprès des membres permanents du Conseil de sécurité. Surtout, il a servi à catalyser les réactions des pays du Sud et à leur fournir un thème unificateur dans leurs revendications à l’égard du Nord.
Le professeur, politiste et spécialiste du monde arabe prend du recul à l’égard de l’unité des BRICS+ qui donnent le ton: ce groupe d’Etats est soumis à des rivalités souvent profondes, par exemple entre l’Egypte et l’Ethiopie, la Chine et l’Inde ou l’Arabie saoudite et l’Iran. Le conflit israélo-palestinien «matérialise et exacerbe» le clivage entre un Sud dont l’homogénéité ne serait que de façade et le Nord de plus en plus hétérogène, ne serait-ce que sous l’effet de l’immigration massive venue des pays du Sud. En retournant les accusations de génocide contre les victimes du génocide nazi, l’Afrique du Sud «met en cause l’éthique occidentale» et tente de redéfinir la notion de droits de l’homme, écrit notre auteur, à l’encontre de ceux qui s’en font les champions. A l’opposition entre l’Est et l’Ouest se substitue de plus en plus une confrontation entre le Nord et le Sud.
Kepel relève aussi que le conflit actuel met aux prises des extrémistes religieux dans les deux camps, aussi bien les suprémacistes juifs représentés au gouvernement Netanyahou que les islamistes au pouvoir à Gaza ou à Téhéran, qui justifient les uns et les autres l’extrême violence par les textes sacrés. Le fondamentalisme religieux – que Gilles Kepel n’a cessé de documenter tout au long de sa carrière académique – est une menace pour la survie d’Israël: il est au centre de l’hostilité que lui manifeste l’Iran. En parlant d’holocaustes au pluriel, Gilles Kepel veut retrouver le sens originel d’un terme qui signifie le sacrifice à vocation religieuse d’un grand nombre d’individus. Indépendamment de tous critères éthiques ou moraux, il devient clair que l’offensive israélienne à Gaza est un échec tant militaire que politique. Netanyahou n’a pas atteint ses objectifs. Il ne sera prêt à négocier que lorsqu’il pourra afficher un succès majeur, tel que la prise ou l’assassinat de Yahya Sinwar, le chef de l’aile militaire du Hamas.
L’auteur met aussi en lumière l’activité du Qatar, devenu le médiateur principal du conflit. Ce pays abrite les dirigeants politiques du Hamas. Il semble avoir pris ses distances d’avec les Frères musulmans dont il a partagé naguère l’idéologie. L’Arabie saoudite joue de son côté un rôle décisif: elle a un intérêt direct à pacifier la bande de Gaza (et donc à la reconstruire le moment venu) pour pouvoir mener à chef son projet de développement. La ville futuriste de Neom n’est située qu’à 150 km de Gaza.
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