Or vs bitcoin, quel est le plus (in)utile?
N’est-il pas étonnant que le récent article de Richard Etienne sur l’inutilité supposée de l’or ne suscite apparemment bien plus rarement les mêmes questionnements à propos des cryptomonnaies et en particulier du bitcoin? La blockchain est à l’évidence une technologie remarquable, dont les applications sont immenses, mais a-t-on vraiment besoin du bitcoin? Et en quoi est-il plus nécessaire ou utile que l’or?
A lire la plupart des commentaires à ce sujet, il apparaît que la nouveauté de cette technique de création monétaire semble exercer une sorte de sidération des médias, qui ne s’inquiètent pratiquement que de la volatilité des cryptos, trop rarement de leur coût énergétique souvent exorbitant, mais jamais d’une inutilité potentiellement comparable à l’or.
Il est vrai que la plus grande partie de l’or dans le monde est stockée sous forme de barres dans les coffres des banques centrales, mais cela ne signifie pas que cette immobilité soit synonyme d’inutilité. Car la fonction de ces dépôts est celle d’une garantie tangible, concrètement matérielle et mesurable de la richesse d’un Etat. La fonction de l’or est de nos jours celle d’une réserve, à disposition en cas de besoin. On ne dit pas des extincteurs qui sont accrochés dans tous les immeubles qu’ils sont inutiles, alors que la presque totalité ne seront heureusement jamais employés contre un incendie. L’or dans les banques joue exactement le même rôle.
Un Etat peut imprimer de la monnaie à peu près librement (à ses risques et périls), mais il ne peut pas fabriquer de l’or ex nihilo, et c’est pourquoi cette substance possède depuis la nuit des temps ce caractère de solidité et de rareté qui fait sa force inégalée en tant que réserve de valeur. Bien que celle-ci puisse subir des fluctuations relativement importantes, il n’est jamais arrivé dans toute l’histoire humaine que l’or la perde complètement, ce qui n’est pas le cas de la monnaie papier, dont la valeur peut s’évaporer jusqu’au zéro.
A cet égard, l’invention de la blockchain n’est-elle pas la réalisation du rêve des alchimistes, c’est-à-dire de la transformation du plomb en or? Car les qualités fondamentales mises en avant pour la première des cryptomonnaies sont aussi valables pour le métal jaune: il existe en quantité limitée et il est infalsifiable. La confiance, cet attribut essentiel de toute monnaie, se trouve ainsi assurée par ces caractéristiques communes.
Il y a cependant une différence importante: l’or est physiquement indestructible, alors que le bitcoin dépend d’un support informatique, qui lui ne l’est pas. A part dans un trou noir galactique, le métal jaune ne peut pas être détruit, il est immuable et sa seule manière de disparaître de nos regards est le frottement qui l’use peu à peu. On peut perdre un objet en or, mais il pourra toujours être retrouvé, même un million d’années plus tard, sans qu’il ait changé d’un seul atome.
A la suite de Keynes, il est courant chez beaucoup d’économistes de qualifier l’or de «relique barbare», ce qui est particulièrement inapproprié en l’espèce puisque ce sont précisément les civilisations évoluées qui ont fabriqué et utilisé de la monnaie en or et en argent, alors que les barbares ne frappaient pas monnaie. En réalité, cette boutade provocatrice avait pour seule intention de disqualifier l’or en le désignant comme un véhicule monétaire dépassé. Sa déchéance vient probablement du fait qu’il résiste, par son inertie même, à la créativité économique. Entre parenthèses, il est étonnant que de si nombreux économistes accueillent avec autant de ferveur le bitcoin, puisqu’il partage avec l’or cette caractéristique honnie de n’exister qu’en quantité finie. On peut imprimer des billets de banque, mais on ne peut pas fabriquer de l’or, seulement l’extraire péniblement du sol. N’est-il pas d’ailleurs révélateur que le terme de «minage» ait été choisi pour désigner la fabrication du bitcoin? Ne s’agit-il pas d’une référence directe à l’extraction minière de l’or?
Bien entendu, l’or prend plus de place qu’un code sur une clé USB, mais il reste d’un faible volume par rapport à sa valeur vénale. De plus, il est possible aussi d’en porter une partie sur soi sous forme de bijoux, alors qu’une clé USB est moins décorative autour du cou…
Pour en finir avec ces réflexions, que choisir entre le minage de l’or dans une mine ou le minage de bitcoins au moyen de super-ordinateurs? A dépense énergétique égale, vaut-il mieux extraire de l’or ou des cryptos? Tout le monde ou presque peut laver de l’or dans une rivière et en survivre, mais seule une infime minorité a les moyens de faire exécuter les calculs nécessaires aux cryptos. Pour l’auteur de ces lignes, le métal a l’avantage d’exister physiquement, et de plus d’être pratiquement inaltérable, alors que la cryptomonnaie est hélas seulement une information, un code enregistré sur un support informatique, tellement plus fragile…
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L’or prend plus de place qu’un code sur une clé USB, mais il reste d’un faible volume par rapport à sa valeur vénale