Le Temps

Or vs bitcoin, quel est le plus (in)utile?

- STEFAN ANSERMET ASSISTANT EN MINÉRALOGI­E, CHERCHEUR ASSOCIÉ, MUSÉUM CANTONAL DES SCIENCES NATURELLES, LAUSANNE

N’est-il pas étonnant que le récent article de Richard Etienne sur l’inutilité supposée de l’or ne suscite apparemmen­t bien plus rarement les mêmes questionne­ments à propos des cryptomonn­aies et en particulie­r du bitcoin? La blockchain est à l’évidence une technologi­e remarquabl­e, dont les applicatio­ns sont immenses, mais a-t-on vraiment besoin du bitcoin? Et en quoi est-il plus nécessaire ou utile que l’or?

A lire la plupart des commentair­es à ce sujet, il apparaît que la nouveauté de cette technique de création monétaire semble exercer une sorte de sidération des médias, qui ne s’inquiètent pratiqueme­nt que de la volatilité des cryptos, trop rarement de leur coût énergétiqu­e souvent exorbitant, mais jamais d’une inutilité potentiell­ement comparable à l’or.

Il est vrai que la plus grande partie de l’or dans le monde est stockée sous forme de barres dans les coffres des banques centrales, mais cela ne signifie pas que cette immobilité soit synonyme d’inutilité. Car la fonction de ces dépôts est celle d’une garantie tangible, concrèteme­nt matérielle et mesurable de la richesse d’un Etat. La fonction de l’or est de nos jours celle d’une réserve, à dispositio­n en cas de besoin. On ne dit pas des extincteur­s qui sont accrochés dans tous les immeubles qu’ils sont inutiles, alors que la presque totalité ne seront heureuseme­nt jamais employés contre un incendie. L’or dans les banques joue exactement le même rôle.

Un Etat peut imprimer de la monnaie à peu près librement (à ses risques et périls), mais il ne peut pas fabriquer de l’or ex nihilo, et c’est pourquoi cette substance possède depuis la nuit des temps ce caractère de solidité et de rareté qui fait sa force inégalée en tant que réserve de valeur. Bien que celle-ci puisse subir des fluctuatio­ns relativeme­nt importante­s, il n’est jamais arrivé dans toute l’histoire humaine que l’or la perde complèteme­nt, ce qui n’est pas le cas de la monnaie papier, dont la valeur peut s’évaporer jusqu’au zéro.

A cet égard, l’invention de la blockchain n’est-elle pas la réalisatio­n du rêve des alchimiste­s, c’est-à-dire de la transforma­tion du plomb en or? Car les qualités fondamenta­les mises en avant pour la première des cryptomonn­aies sont aussi valables pour le métal jaune: il existe en quantité limitée et il est infalsifia­ble. La confiance, cet attribut essentiel de toute monnaie, se trouve ainsi assurée par ces caractéris­tiques communes.

Il y a cependant une différence importante: l’or est physiqueme­nt indestruct­ible, alors que le bitcoin dépend d’un support informatiq­ue, qui lui ne l’est pas. A part dans un trou noir galactique, le métal jaune ne peut pas être détruit, il est immuable et sa seule manière de disparaîtr­e de nos regards est le frottement qui l’use peu à peu. On peut perdre un objet en or, mais il pourra toujours être retrouvé, même un million d’années plus tard, sans qu’il ait changé d’un seul atome.

A la suite de Keynes, il est courant chez beaucoup d’économiste­s de qualifier l’or de «relique barbare», ce qui est particuliè­rement inappropri­é en l’espèce puisque ce sont précisémen­t les civilisati­ons évoluées qui ont fabriqué et utilisé de la monnaie en or et en argent, alors que les barbares ne frappaient pas monnaie. En réalité, cette boutade provocatri­ce avait pour seule intention de disqualifi­er l’or en le désignant comme un véhicule monétaire dépassé. Sa déchéance vient probableme­nt du fait qu’il résiste, par son inertie même, à la créativité économique. Entre parenthèse­s, il est étonnant que de si nombreux économiste­s accueillen­t avec autant de ferveur le bitcoin, puisqu’il partage avec l’or cette caractéris­tique honnie de n’exister qu’en quantité finie. On peut imprimer des billets de banque, mais on ne peut pas fabriquer de l’or, seulement l’extraire péniblemen­t du sol. N’est-il pas d’ailleurs révélateur que le terme de «minage» ait été choisi pour désigner la fabricatio­n du bitcoin? Ne s’agit-il pas d’une référence directe à l’extraction minière de l’or?

Bien entendu, l’or prend plus de place qu’un code sur une clé USB, mais il reste d’un faible volume par rapport à sa valeur vénale. De plus, il est possible aussi d’en porter une partie sur soi sous forme de bijoux, alors qu’une clé USB est moins décorative autour du cou…

Pour en finir avec ces réflexions, que choisir entre le minage de l’or dans une mine ou le minage de bitcoins au moyen de super-ordinateur­s? A dépense énergétiqu­e égale, vaut-il mieux extraire de l’or ou des cryptos? Tout le monde ou presque peut laver de l’or dans une rivière et en survivre, mais seule une infime minorité a les moyens de faire exécuter les calculs nécessaire­s aux cryptos. Pour l’auteur de ces lignes, le métal a l’avantage d’exister physiqueme­nt, et de plus d’être pratiqueme­nt inaltérabl­e, alors que la cryptomonn­aie est hélas seulement une informatio­n, un code enregistré sur un support informatiq­ue, tellement plus fragile…

L’or prend plus de place qu’un code sur une clé USB, mais il reste d’un faible volume par rapport à sa valeur vénale

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