Matthieu Béguelin ressuscite Lénine et ses deux femmes
En mars 1917, le leader communiste a voyagé de Zurich à Petrograd avec son épouse et sa maîtresse pour rejoindre la révolution russe. Au Pulloff, à Lausanne, avant Le Pommier, à Neuchâtel, on revit cette traversée en train
On ne le dit pas assez. Aux côtés de Lénine, le tsar rouge dont on vient de fêter les 100 ans de la mort (21 janvier 1924), vivaient deux femmes qui ont contribué à renforcer sa pensée et son action politiques. Nadejda Kroupskaïa, enseignante et militante bolchevique, épouse du leader depuis 1899 et très attachée à la démocratisation de l’enseignement. Et Inès Armand, féministe de la première heure, qui a quitté sa famille pour défendre les droits des femmes, notamment auprès de Vladimir Illitch dont elle était la maîtresse.
Ces trois-là, associés à Fritz Platten, conseiller national socialiste suisse, firent un voyage emblématique, fin mars 1917. Le périple qui, en pleine Première Guerre mondiale, a permis au leader communiste de quitter son exil helvétique pour rejoindre la Russie et y prendre les rênes de la révolution entamée par les femmes de son pays, un élan féminin, là encore! Dans Zürich-Petrograd, spectacle plus édifiant que remuant, Matthieu Béguelin retrace ces huit jours de traversée et les échanges qui s’y sont déroulés. A voir au Pulloff, jusqu’au 31 mars et au Pommier à Neuchâtel, du 19 au 27 avril.
Emancipation féminine
Décidément, parler de Lénine impressionne ses disciples! Zürich-Petrograd souffre de la même limite que Le Rêve de Vladimir, proposé en 2017 par Dominique Ziegler: un excès de sagesse, une trop grande volonté de bien faire.
Certes, pendant ce périple en train dans une Europe dévastée par la guerre, il est question du combat pour la paix, de l’émancipation féminine ou de la volonté de Lénine de sortir de la doxa ouvrière et d’associer les paysans à la révolution marxiste, décision qui a permis au bolchevisme de gagner les campagnes. Tous ces sujets palpitants sont bel et bien empoignés dans ce «train plombé» qui, parti de Zurich, traverse l’Allemagne et la Suède durant huit jours avant d’arriver à l’actuel Saint-Pétersbourg.
Mais est-ce le roulis du wagon? Ou la vidéo de Jacques Matthey restituant en fond de scène les paysages réels, forêts et vastes plaines hivernales, traversés par l’embarcation? Ou simplement le fait que les passagers (Valérie Liengme, Alexandra Marcos et Raphaël Tschudi) sont forcément alignés sur les convictions du patron (Laurent Lecoultre)? En tous les cas, le spectacle berce plus qu’il ne stimule.
Et le chahut alors?
Quelques coups de colère – contre les douaniers suisses qui ont réquisitionné les victuailles ou La Pravda, journal du Parti communiste, qui ne relaie pas correctement la pensée du leader – pimentent cela dit le trajet. Intéressante, aussi, cette amitié sororale qui unit les deux femmes, camarades aux mêmes idéaux, et les amène à réagir vivement à toute tentative paternaliste de leur Lénine chéri. Et puis, cette très belle scène encore, qui montre Vladimir allongé, la tête sur les genoux d’Inès, tandis qu’elle entonne un chant partisan, doublé par la femme du leader, pas rancunière. Une certaine paix règne dans cette rame aux sièges vintage. Et les forêts qui défilent en arrière-plan amènent aussi leur apaisement.
Mais, justement, manque à ce documentaire historique un coup de boutoir ou un chahut formel qui réveilleraient l’assemblée. Lorsqu’on appelle Matthieu Béguelin pour lui demander la raison de cette création, il raconte si bien la toujours grande actualité des thèmes abordés (comment guerre et capitalisme marchent main dans la main, l’équité de traitement pour les femmes -des salaires au droit à l’avortement-, ou encore la révolte du monde paysan) qu’on se dit qu’une conférence théâtrale, type Lénine aujourd’hui, donnée par cet homme de scène, aurait sans doute eu plus de punch révolutionnaire que cette restitution un peu trop sage et linéaire.
«Je devais rester fidèle à la vérité historique, répond Matthieu Béguelin, mais je crois à la petite graine plantée dans l’esprit du public. Il y a pas mal de jeunes dans la salle et je pense que cette entrée en matière va les amener à lire sur le sujet plus tard.» On le souhaite, car il est toujours salutaire de connaître son histoire.
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