La pilule abortive dans le viseur de la Cour suprême
La fin de l’accès garanti à l’avortement outre-Atlantique a fait drastiquement augmenter le nombre d’IVG en automédication, selon une étude. Cependant, obtenir de la mifepristone pourrait être compromis très prochainement
La mifépristone est au coeur des débats cette semaine aux EtatsUnis. Ce stéroïde synthétique est l’un des deux médicaments à ingérer, en combinaison avec le misoprostol, pour provoquer une IVG. L’automédication pour une interruption de grossesse est courante outre-Atlantique et compte même pour 63% des avortements à travers le pays, selon une étude publiée par le Guttmacher Institute à la mi-mars. Une enquête parue lundi indique aussi que l’utilisation de pilules abortives a drastiquement augmenté depuis l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade. Cette pratique pourrait cependant être compromise: la Cour suprême se penche mardi sur les arguments de plusieurs associations médicales texanes voulant bannir la mifépristone, pourtant légale et approuvée par la Food and Drug Administration (FDA) depuis septembre 2000.
Pourquoi cette molécule estelle dans le viseur des anti-IVG alors qu’elle est devenue d’une importance capitale dans le pays depuis que l’accès à l’avortement n’est plus garanti au niveau fédéral depuis l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade en juin 2022 (Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization)? Pour comprendre les enjeux, il faut déjà s’intéresser au processus de cette IVG médicamenteuse et à son accessibilité, rendue plus souple récemment. La FDA fournit sur son site des informations sur la posologie ainsi que sur les effets du médicament, qui «bloque une hormone appelée progestérone, nécessaire à la poursuite de la grossesse. La mifépristone, lorsqu’elle est utilisée avec un autre médicament appelé misoprostol, est utilisée pour mettre fin à une grossesse jusqu’à dix semaines de gestation (70 jours ou moins depuis le premier jour des dernières règles).»
Une pilule sûre depuis 2000
Accessible depuis près d’un quart de siècle aux Etats-Unis, la mifépristone a été utile à plus de cinq millions de femmes depuis son introduction sur le marché et à plus de 642 700 rien qu’en 2023. Son accessibilité a récemment été simplifiée par deux fois par la FDA: après la pandémie de covid, en avril 2021, elle devient disponible à la livraison, puis en janvier 2023, elle est délivrable en pharmacie, en personne ou par courrier, aux personnes munies d’une ordonnance. Jusqu’alors, la pilule ne pouvait être prescrite qu’en personne, après trois visites chez un prestataire de soins de santé. En 2016, la FDA a également rallongé de trois semaines la durée de gestation pendant laquelle la prise est autorisée, passant de sept à dix semaines.
Depuis juin 2022 et l’annulation de Roe vs Wade, l’avortement est attaqué de toutes parts et la mifépristone ne fait pas exception. Cinq mois seulement après la décision de la Cour suprême, plusieurs associations médicales anti-IVG intentent une action en justice devant le Tribunal fédéral de district du Texas. Selon elles, les assouplissements concernant la mifépristone sont dangereux. Les effets secondaires indésirables sont pourtant extrêmement rares, précise la FDA, et une hospitalisation est nécessaire dans seulement 1% des cas.
Suivant la décision de la plus haute instance américaine ce mardi, les conditions pour obtenir la pilule pourraient être durcies et revenir à celles en vigueur au moment de son introduction sur le marché. Un rétropédalage qui pourrait avoir des conséquences dramatiques, selon l’American College of Obstetricians and Gynecologists, qui précise que «ces changements entraîneraient des retards accrus dans les soins pour la plupart des patientes et une perte totale d’accès à la mifépristone pour beaucoup d’autres», cela alors que des «décennies de données prouvent que le [médicament] est sûr et efficace».
Moins de droits, plus d’IVG
Ironiquement, l’audition de la Cour suprême intervient le lendemain d’un rapport du Journal of the American Medical Association qui pointe l’importance toujours plus grande de la pilule abortive aux Etats-Unis, notamment depuis juin 2022. La revue médicale s’est demandé dans «quelle mesure la fourniture de médicaments pour l’avortement autogéré en dehors du cadre officiel des soins de santé aux EtatsUnis a augmenté au cours des six mois» suivant Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization. La réponse est sans appel: elle a fortement augmenté avec au total 27 838 avortements en automédication, contrebalançant la baisse du nombre d’IVG pratiquées dans des centres de soin (-32 000 sur la période).
«Ces changements entraîneraient des retards accrus dans les soins pour la plupart des patientes» L’AMERICAN COLLEGE OF OBSTETRICIANS AND GYNECOLOGISTS
Comme mentionné plus haut, la prise de pilule abortive est aussi en constante hausse et représente en 2023 63% des IVG aux Etats-Unis, une augmentation de dix points par rapport à 2020, rapporte le Guttmacher Institute. Plus généralement, depuis juin 2022, le pays connaît une augmentation du nombre d’avortements avec 1 026 690 interruptions volontaires de grossesses l’année dernière, soit 10% de plus qu’en 2020, la preuve que «les femmes continuent à chercher et à obtenir des soins en matière d’avortement malgré la réduction drastique de l’accès». Cette hausse s’expliquerait également par le fait que la perte de droits dans certains Etats «a été contrebalancée par des efforts monumentaux de la part des cliniques, des fonds pour l’avortement et des organisations de soutien logistique pour aider les personnes vivant dans les Etats où l’avortement est interdit à accéder aux soins par le biais d’un soutien financier et pratique», illustre encore l’institut de recherche.
Pour rappel, depuis Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization, 14 Etats ont banni l’accès à l’IVG à quelques exceptions près, et sept autres ont mis en oeuvre des lois qui restreignent son accès sur la base de la durée de la gestation. Au total, près d’une femme sur trois âgée entre 15 et 44 ans vit dans un Etat où l’avortement est interdit ou en grande partie interdit.
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