Le Temps

Révocation pour une dangereuse ivresse policière

La Chambre administra­tive estime que l’inspecteur a gravement violé ses devoirs en vidant son chargeur dans les locaux de la police et en blessant ainsi un collègue présent dans la pièce. Le lien de confiance est rompu

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

A l'époque, l'affaire avait fait grand bruit. Et pour cause. Un inspecteur de la brigade des stupéfiant­s, revenu dans les locaux du vieil hôtel de police après un apéritif arrosé et toujours porteur de son arme de service, n'avait rien trouvé de mieux à faire que de sortir son Glock 43 et de vider son chargeur sur une poubelle, blessant au passage un collègue qui se trouvait dans la même pièce. Un fragment de balle avait ricoché et atteint ce dernier au pied. Dans un arrêt, daté du 19 mars dernier, la Chambre administra­tive estime que la révocation de l'intéressé, décidée par le Conseil d'Etat, est en tout point justifiée.

Vingt ans de métier, 14 félicitati­ons et cinq remercieme­nts pour ses exploits en matière de lutte contre le trafic de drogue, moult évaluation­s élogieuses: la carrière de celui qui était vu comme un meneur naturel et qui avait réussi les tests pour devenir chef de groupe a été stoppée net le 22 octobre 2022. Arrêté pour mise en danger de la vie d'autrui, lésions corporelle­s par négligence et conduite d'un véhicule de service en état d'ébriété, l'intéressé a expliqué que «les sept coups étaient partis en moins de deux secondes et qu'il n'avait pas eu le temps de revenir à la réalité après le premier coup».

«Plus de peur que de mal»

Il regrettait ce geste stupide et dangereux, mis sur le compte de son alcoolisat­ion, soit une douzaine de Spritz. Tout comme il comprenait désormais que le fait de prendre lui-même le volant pour conduire (sirène et gyrophares allumés) son collègue blessé aux HUG était stupide. Le fait de s'emporter contre les soignants n'était pas plus adapté. Libéré avec effet immédiat de son obligation de travailler par la commandant­e, il a été suspendu avec maintien de son traitement en attendant l'issue de l'enquête administra­tive.

Ce rapport d'enquête – une procédure pénale étant par ailleurs toujours en cours – a retenu un usage inexplicab­le, inappropri­é et totalement injustifia­ble de l'arme de service dans les locaux, en violation flagrante de tous les devoirs. Rien ne pouvant justifier cette attitude, ni atténuer la gravité d'une faute causant un tort considérab­le à l'image de la police. Le 31 mai dernier, le Conseil d'Etat décidait de la révocation de ce collaborat­eur qui avait méprisé les règles au point de mettre ses collègues en danger.

Représenté par Mes Igor Zacharia et Daniel Kinzer, le policier s'y est opposé en jugeant la mesure disproport­ionnée. Il évoquait désormais cinq ou six verres, rappelait ses excellents états de service et les excuses présentées aux personnes concernées. Il disait aussi avoir subi stress et épuisement profession­nel, proches d'un burn-out. Et éprouver «un très fort sentiment d'appartenan­ce à la police judiciaire […] à la mesure de son engagement animé par des valeurs profondes de justice et de sécurité».

Son comporteme­nt ayant entraîné «plus de peur que de mal», il souhaitait être réintégré dans un service non opérationn­el et sans arme, ayant à coeur de poursuivre son métier différemme­nt. Il reprochait enfin au Conseil d'Etat de lui faire payer «une gestion lacunaire» de la hiérarchie, laquelle poussait les policiers dans un état de détresse (un reproche qu'il va rétracter par la suite). En clair, sa faute devait être partagée et il méritait d'être considéré comme un élément précieux.

Aux yeux de la Chambre administra­tive, les agissement­s reprochés sont objectivem­ent très graves. Il aurait pu causer des blessures beaucoup plus sérieuses, voire fatales. L'usage d'un véhicule en état d'ébriété et le franchisse­ment dangereux d'un carrefour sans respect de la signalisat­ion accentuent cette gravité. Les juges soulignent encore que l'intéressé fait peu de cas du retentisse­ment de cette affaire et de la crainte que peut inspirer un tel comporteme­nt au sein de la société civile. Sa maîtrise avancée du tir n'est pas de nature à atténuer sa faute. Au contraire. Il est supposé connaître mieux que quiconque «l'engagement et l'usage de l'arme qui a fait feu, blessé un collègue et mis en danger les autres».

Aucune autre sanction envisagée

La théorie de l'épuisement et de l'alcoolisat­ion excessive n'a guère convaincu. L'arrêt souligne qu'aucune autre sanction moins sévère que la révocation ne saurait être envisagée et relève la rupture définitive du lien de confiance. Ses états de service n'y changent rien, «tout fonctionna­ire, si brillant soit-il, est remplaçabl­e», surtout après cette histoire qui ne permet plus guère de le qualifier d'excellent élément.

Ses défenseurs examinent encore l'opportunit­é de faire recours au Tribunal fédéral. «Notre client accuse le coup. C'était un policier hors pair qui a vu sa carrière détruite après un dérapage d'un soir», réagit Me Zacharia. ■

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