L’EPFL mate l’EPFZ sur les pistes de ski
Chaque année, les écoles polytechniques de Zurich et Lausanne se mesurent lors d’une épreuve de glisse intitulée «Challenge». Immersion dans cette compétition festive plus que trentenaire, remportée cette année par les Romands
«Allez Lausanne!» «Allez Züri!» Sous un soleil éclatant, 50 étudiantes et étudiants romands défiaient la semaine dernière le même nombre de leurs pairs alémaniques à Disentis, aux Grisons. Agglutinés au bord de la piste, les supporters des deux écoles motivent les «Challengers» pendant que ces derniers s’appliquent dans les courbes. Malgré une courte nuit. Seul événement universitaire trans-Röstigraben, le «Challenge» n’est en effet pas qu’une histoire de ski. C’est une fête – presque un mini-festival – dont les soirées parsemées d’épreuves rapportent également des points en vue du sacre.
Objectif principal: défaire le camp adverse lors d’une succession de défis plus ou moins fantasques pour obtenir le droit de vanter la supériorité de sa région linguistique pendant une année. Mais surtout unir les étudiants d’un pays cloisonné par les langues… au sein d’un événement devenu largement anglophone.
Concurrence à l’excentricité anglaise
Oxford et Cambridge se défient à la rame. Zurich et Lausanne chaussent les lattes. La tradition helvète est certes moins ancienne – la compétition anglaise remonte à 1829 alors que l’épreuve suisse date de 1991. Mais tout de même. Trois décennies de joutes ont donné lieu à un week-end prolongé (de jeudi à dimanche) solidement organisé, doté de 250 000 francs de budget pour 400 inscrits, avec ses propres rites et coutumes. A commencer par les trois compétitions sportives du week-end – dessinées en coopération avec l’Ecole suisse de ski: le slalom (18% des points annuels), le boardercross (18%) et l’«inferno» (9%), spécialité qui oppose l’intégralité des concurrents déchaussés courant vers leurs skis avant de foncer vers la ligne d’arrivée. «Il y a quelques années, précise un Challenger, la technique était de ne mettre qu’un ski pour gagner du temps. Mais les accidents se succédant, il est désormais obligatoire d’utiliser les deux.»
Le reste des points est alloué à l’occasion d’un triathlon hivernal (15%) – cette année, trottinette des neiges, course en chaussures de ski et luge ventrale. La fameuse «soirée costumée» du vendredi soir (10%), qui oppose deux paires concurrentes au sein de chaque école sur une thématique choisie: cette année, «le supermarché». Les notes sont distribuées par un jury composé d’employés de General Electric, multinationale américaine qui sponsorise l’événement depuis ses débuts. Tandis que les «challenges» (24%), défis baroques distribués çà et là lors du week-end, complètent le tableau. Enfin, «pour assurer un décompte impartial», le total est savamment calculé par un «groupe d’attribution des points» formé de quatre anciens organisateurs (deux de Zurich, deux de Lausanne). Si les rites anglais gagnent la manche de l’ancienneté, l’excentricité britannique semble avoir trouvé à qui parler dans les Alpes.
La rédemption réputationnelle
«Le concours met avant tout l’accent sur l’unité, la camaraderie et le dépassement des barrières culturelles du Röstigraben, précise Claire Payoux, vice-présidente de l’édition 2024, assise au sein d’un vaste amphithéâtre creusé dans la neige par 15 volontaires avant l’épreuve. Avec les années, la compétition a pris de l’ampleur. Mais l’ambiance demeure bon enfant. Même si les Alémaniques sont quand même toujours un peu plus sérieux [ce que les principaux concernés ne nient pas forcément, ndlr]. Et qu’ils alignent généralement de très bons skieurs. Ce qui n’est pas toujours notre cas.»
Connu pour inspirer certains excès, le «Challenge» s’est attiré une réputation sulfureuse à la fin des années 2010 – la traditionnelle «soirée piscine» (désormais abolie) conduisant à certains abus. Toutefois un gros effort a récemment été fourni par les organisateurs afin de revenir dans les clous, précisent ces derniers. L’alcool a été banni sur les pistes, tandis que des «concepts de sûreté» garantissent que tout le monde soit à son aise lors des fêtes nocturnes, encadrées par des employés de la sécurité de l’EPFL ou de l’EPFZ. Des précautions qui n’ont rien enlevé à l’attrait de l’événement, qui accueille même régulièrement quelques grands pontes (Martin Vetterli et Joël Mesot, les deux présidents, en 2019. Matthias Gäumann, vice-président des opérations de l’EPFL en 2024). Ainsi qu’un grand nombre d’«anciens». Comme Matt, 49 ans.
«L’une de nos concurrentes ne sait pas skier»
«Il y avait beaucoup plus de professeurs à la fin des années 2000, souligne le participant zurichois à l’édition 1999, vêtu ce jeudi soir d’une seyante robe de chambre rose. Mais les fondamentaux sont toujours là. C’est une rencontre qui permet de connaître son pays, de se créer des contacts outre-Sarine. Et de s’amuser! Je suis retourné en vacances en Suisse romande sur des lieux découverts grâce à la compétition quand j’étais jeune. Et, vingt-cinq ans plus tard, la plupart de mes amis sont toujours des Challengers… La métamorphose principale est plutôt linguistique. Avant nous parlions français ou allemand. Pas bien, mais les échanges se faisaient comme ça. Maintenant il y a davantage de cours en anglais dans les deux écoles. Et c’est devenu la langue principale pour se comprendre entre Zurichois et Lausannois.»
«C’est une rencontre qui permet de connaître son pays, de se créer des contacts outre-Sarine»
Malgré une large contribution financière des sponsors (Fabrimex, fournisseur de solutions informatiques, General Electrics, et une association d’alumnis de l’EPFZ), le prix du week-end a également évolué. Pour atteindre entre 350 et 550 francs par participant, selon leur statut. Le ski, sport onéreux s’il en est, ne s’apprend pas non plus en un jour. De quoi alimenter un certain élitisme? «L’une de nos concurrentes qualifiées pour l’édition 2024 ne sait pas skier, répond Claire Payoux. Elle ne fait donc aucune épreuve de glisse. On perd des points mais l’important n’est pas là. Je dirais donc que non.» La compétition est cependant réelle. Et cette année, c’est Lausanne qui l’a emporté, quoique l’EPFZ mène toujours 18 à 14 au tableau général. Une victoire annoncée tard dans la nuit de samedi à dimanche dont l’impact sonore entrera probablement dans les mémoires du village, plus habitué au silence des moines qu’aux rugissements triomphaux d’une horde de Welsches.
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